Les données sont partout, ou comment l’industrie de la publicité s’est radicalement transformée vers un modèle axé sur le Numérique

Publié le 11 décembre 2020
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Données brutes Image de Mika Baumeister sur Unsplash

L’industrie de la publicité a profondément muté en l’espace de 20 ans. Les dépenses publicitaires mondiales ont d’une part fortement évolué, notamment avec l’émergence de régions qui auparavant n’investissaient pas ou peu en publicité (les BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), mais ce secteur a également vu apparaître de nouveaux acteurs autrefois complètement étrangers à cette industrie, venant ainsi radicalement remodeler celle-ci avec l’utilisation massive des données.

Les acteurs du Numérique et les GAFAM entrent en piste !

La menace des nouveaux entrants

Parmi ces nouveaux acteurs, on compte les cabinets d’Audit qui depuis une décennie se sont spécialisés dans le traitement de la donnée. Ceux-ci se sont aidés de 2 technologies majeures, à savoir lIA qui leur permet d’identifier les profils de consommateurs et de faire de la publicité ciblée, et aussi (et surtout) le Big Data leur donnant un accès à un volume considérable de données, de signaux faibles, et de méga tendances. Ces nouveaux entrants viennent bousculer l’ordre établi et forcer l’industrie tout entière à se repenser.

Ces nouvelles technologies font partie de l’ADN des GAFAM, notamment Google et FaceBook, qui ont bâti un modèle économique basé sur les données via l’utilisation d’algorithmes de ciblage intégrés au cœur même de leurs applications.

Le comportement des consommateurs

Le marché n’est pas seulement bouleversé par ces nouveaux entrants, mais aussi par le comportement des consommateurs qui ont modifié leurs usages des médias. Ainsi, la forte augmentation de l’usage du mobile accroît encore plus le poids des acteurs du numérique. On observe ainsi sur la période 2016-2020 une augmentation de près de 240% (source eMarketer.com, décembre 2018) des dépenses publicitaires sur mobile, signe d’un changement d’habitude des consommateurs qui utilisent massivement et en priorité leurs smartphones plutôt que les médias traditionnels (ordinateur, tv). Quand on sait la quantité de données personnelles stockées dans nos téléphones, on comprend aisément l’appétence des entreprises du numérique pour celles-ci.

La remise en question de certains usages est profonde comme la consultation de journaux papiers. En l’espace de 20 ans, la part des dépenses publicitaires sur ce support a été divisée par deux (source ZenithMedia, juin 2019).

Image de Christian Wiediger sur Unsplash

Les poids lourds du numérique, nouveaux géants de la publicité ?

Dans ce contexte, ces nouveaux acteurs se sont emparés d’une part de marché importante par rapport aux acteurs historiques de l’industrie. Ils jouent désormais un rôle important et imposent aux annonceurs des contraintes qui n’existaient pas auparavant.

Ainsi, par l’acquisition toujours plus importante de données de navigation et de nos habitudes de consommation, les sociétés de conseil et encore plus les GAFAMS collectent un volume considérable et hétéroclite de données qu’évidemment elles ne partagent pas, leur donnant alors un avantage concurrentiel indéniable. Cela leur permet également de connaître les clients finaux bien mieux que les annonceurs eux-mêmes.

En disposant de leurs propres outils et technologies, ces géants des données et de l’IA ne permettent plus aux annonceurs de négocier le prix des encarts publicitaires, car ceux-ci sont maintenant régis par un fonctionnement de type ‘Enchère’.

De nombreuses Startups se sont également créées et proposent différents outils basés sur l’IA pour le ciblage publicitaire, ou bien l’analyse des données. L’excellente publication d’Olivier Ezratty sur les usages de l’intelligence artificielle évoque en détail certaines de ces Startups.

Ainsi, le modèle économique de l’industrie de la publicité se voit contraint de se transformer radicalement, sous peine de voir disparaître certains gros acteurs historiques.

Quid de la donnée ?

Il est légitime de s’interroger sur le traitement massif des données utilisateurs et des questions que cela pose sur tous les aspects de la vie privée du consommateur.

Pourquoi dans ce contexte continuons nous d’utiliser les services d’Amazon, de Facebook, et de fournir en pleine conscience à tous ces acteurs nos données personnelles, données qui seront ensuite utilisées pour nous proposer une publicité ciblée, contextualisée, et temporalisée, Triptyque du Quoi/Comment/Quand ?

Personne ne lit les conditions générales d’utilisation des services et applications proposés par Google ou Facebook, et pourtant elles y décrivent les données qui sont récoltées et leurs usages. La consolidation de gigantesques bases de données, appelées Data Lake, constitue la pierre angulaire de tout le système de recommandation de produits, de publicité ciblée, ou de tri et sélection des posts affichés dans le flux Twitter.

On voit que la donnée qui est cédée (gratuitement) par le consommateur ne sert pas seulement les intérêts de la publicité, mais permet aussi d’une certaine manière d’influencer, d’orienter l’internaute lors de sa navigation.

La donnée, facteur clé pour ces géants en devenir

L’industrie de la publicité est en profonde mutation et les nouveaux acteurs que sont les firmes IT et les GAFAM proposent une création de valeur innovante, en accord avec les besoins et usages des consommateurs. 

La donnée est devenue l’un des facteurs clés de succès pour ces entreprises qui bénéficient (presque) gratuitement, tout du moins à un coût d’acquisition très faible, d’une quantité énorme de données souvent très qualifiées, donc de qualité.

Le retargeting, ou reciblage publicitaire est par exemple une technique marketing qui permet un suivi de l’internaute par l’utilisation des cookies stockés dans son navigateur. L’internaute accepte de facto ce tracking des temps modernes, tracking lui proposant alors l’affichage des publicités correspondants à ses habitudes de consommation.

Image de Tudor Baciu sur Unsplash

Comment se protéger ?

La question qui devrait plutôt être posée est : Souhaitons-nous nous protéger ?

Car en pratique nous disposons déjà de nombreux leviers permettant de protéger notre identité et nos données personnelles lorsque nous naviguons sur Internet.

En théorie, les bandeaux d’acceptation des cookies devenus obligatoires lors de la première connexion à un site internet nous permettent déja d’accepter ou de refuser les cookies analytics, les cookies sociaux, les cookies de ciblage publicitaire. En pratique, qui prend le temps de consulter ces bandeaux et de modifier les autorisations d’accès à ses données personnelles ?

Lorsque nous jouons à un jeu gratuit sur notre smartphone, celui-ci est bien souvent financé par la publicité en ligne, à partir de nos données personnelles. Personne n’est gêné et cela n’empêche pas certains jeux de devenir de véritables Icones en l’espace de quelques semaines ?

« Quand c’est gratuit, c’est vous le produit. »

Pour nos recherches sur internet, nous pouvons utiliser des moteurs de recherche qui respectent la vie privée et ne collectent pas de données, comme Qwant par exemple. Mais en réalité, c’est Google qui trust le marché en France avec plus de 91% de part de marché (source emarketerz.fr, mai 2020).

Enfin, nous sommes libres d’utiliser des DNS qui ne stockent pas les sites que nous parcourons. C’est un paramétrage relativement simple à faire sur nos ordinateurs, et pourtant la majorité des personnes utilisent le DNS de leur fournisseur d’accès à Internet.

Sans entrer dans un militantisme numérique extrême, il est aujourd’hui assez facile de minimiser le volume de données personnelles qui fuitent de nos navigateurs ou smartphones. Mais c’est vrai qu’il est plus rassurant et plus simple d’ignorer volontairement cet état de fait.

Rappelons alors ceci : « Quand c’est gratuit, c’est vous le produit. » En acceptant de ne pas payer un service ou une application, nous acceptons de donner une partie de nos données personnelles.

Quel rôle pour les pouvoirs publics ?

Aujourd’hui, ces géants de l’internet ne se limitent pas aux réglementations des pays, mais souvent les contournent, voire les évitent, ce qui leur donne un avantage concurrentiel indéniable. Cette situation est amenée à évoluer dans les années à venir car les Etats tendent à renforcer certaines réglementations, notamment en matière de fiscalité. On entrevoit également qu’à l’échelle internationale les choses évoluent, avec l’exemple récent de l’UE qui indique vouloir imposer sa taxe GAFAM si les Américains ne reviennent pas à la table des négociations (source (https://siecledigital.fr/2020/11/10/europe-g).

Quelles perspectives à l’horizon 2040 ?

Dans les années 2000, avant l’émergence des acteurs du numérique, l’industrie de la publicité pouvait se contenter de facteurs de succès ‘classiques’ comme un prix d’annonce à la baisse, ou bien la recherche de créatifs meilleurs que leurs concurrents.

20 ans plus tard, le numérique est passé par là et a profondément modifié les habitudes des consommateurs en apportant de nouveaux outils basés sur les dernières technologies, imposant une remise en question forte des acteurs historiques du marché.

Quelle perspective pour dans 20 ans ?

Avec la crise sanitaire, économique, sociétale que nous traversons en cette année 2020, nous pouvons imaginer 2 scénarios.

Le premier, avec des changements sociétaux majeurs qui remettront en question la notion même de publicité (révolte contre la société de consommation par exemple, refus de partage de ses données personnelles).

A contrario, un seconde hypothèse pourrait être que l’accélération de l’usage du numérique provoque une publicité encore plus “hyper ciblée” que ne l’est aujourd’hui (réalité augmentée à la façon Minorty Report, objets connectés), et engendre donc un marché encore en pleine croissance.

Tout comme on parle du Numérique responsable pour les bonnes pratiques dans le monde IT, parlera-t-on un jour de la Donnée Responsable, cette donnée que l’utilisateur aura consciemment consentie à une société tiers, société qui utilisera alors seulement ce dont elle à besoin, dans une approche éthique et responsable ?