Bertrand Chabrier : L’impact de l’Intelligence Artificielle sur la logistique en e-commerce
Directeur Marketing et commercial pour l’entreprise de logistique C-log, filiale du groupe Beaumanoir, Bertrand Chabrier est convaincu de l’intérêt de l’IA dans son secteur d’activité. Quels sont les enjeux aujourd’hui de la logistique dans le e-commerce ? Comment l’IA pourrait changer son fonctionnement ? Bertrand Chabrier nous donne son point de vue de professionnel sur toutes ces interrogations.
Pouvez-vous nous présenter votre entreprise ?
C-log est une société de prestation de services en supply chain, nous proposons des solutions de logistique retail et wholesale pour du commerce physique et du e-commerce. Nous gérons aussi les transports avec un pôle import/export où nous réceptionnons les entrées de marchandises en France, donc des fournisseurs jusqu’à nos entrepôts . Et un pôle où on expédie les marchandises après avoir préparé les commandes. On expédie l’équivalent de 4 millions de colis par an, vers environ 100 pays dans le monde et 7000 points de vente. Nous faisons aussi du conseil : on accompagne nos clients sur du développement, on fait du benchmark, on leur propose des solutions pour réduire leur facture,… c’est une partie de notre activité assez légère mais qui est très importante dans la relation client. Pour donner quelques chiffres clés, C-log fait 62 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une croissance régulière depuis 5 ans entre 7 et 20 %, mais cette année, on va vivre une croissance encore jamais vue, donc nous ne sommes pas du tout en crise malgré la situation de crise sanitaire actuelle.
Qui sont vos clients ?
Aujourd’hui on travaille avec une trentaine de marques, on pourrait penser que c’est assez peu, mais ce sont des clients dont on s’occupe énormément. Les processus de prospection sont longs, ils durent entre 6 mois et 2 ans. Notre entreprise est un peu coupée en deux, avec deux cerveaux distincts, d’un côté les marques qui appartiennent au groupe Beaumanoir dont C-log est la filiale logistique, avec la distribution de Cache-cache, Bonobo, Patrice Bréal, Morgan et maintenant La Halle qui a été rachetée. Les marques de notre groupe représentent la moitié de notre chiffre d’affaires, et l’autre moitié ce sont d’autres marques spécialisées dans le prêt-à-porter et les accessoires de mode, c’est vraiment notre spécialité et on ne veut pas faire autre chose.
Quelles sont les différences de gestion entre l’approvisionnement de magasins physiques et le e-commerce ?
Le e-commerce a complètement bouleversé la logistique. Nous avons commencé à en faire en 2007 pour Cache-Cache, en mettant au point des meubles intelligents qui nous ont permis de traiter énormément de pièces en une seule journée sur le même site, et donc de réagir très vite comme l’impose le rythme du e-commerce. Dans le retail on a des livraisons massives avec beaucoup de pièces à une fréquence qui s’adapte en fonction des stocks en magasins. Quand le e-commerce est arrivé, tout a été bouleversé, puisqu’on s’est retrouvé avec la situation inverse : beaucoup de commandes tout le temps, des livraisons avec des délais raccourcis (2 à 3 jours en moyenne) et seulement 2 ou 3 pièces par commande, ce qui nous a obligé à modifier notre façon de travailler. Au début le e-commerce était anecdotique, puis progressivement il s’est développé. Il y a quelques années tout le monde a pensé que c’était l’avenir et il y a eu beaucoup d’investissements d’un coup, même si au départ un e-commerce pour des marques omnicanales ne représentait que maximum 20 % de leur CA, alors que les frais logistiques et de transports sont 3 à 4 fois plus chers qu’en retail. Depuis 2007 nous avons donc mis en place des solutions spécifiques en voyant le e-commerce grossir gentiment, d’autant plus que le e-commerce est toujours la priorité dans un entrepôt puisqu’une pièce e-commerce a été vendue, elle est attendue par un client, en retail c’est une pièce qu’on envoie en magasin avec l’espoir qu’elle soit vendue dans les semaines qui vont venir. C’est assez différent comme approche. Sur le côté transport et livraison c’est aussi beaucoup plus complexe en e-commerce puisqu’on propose au moins 70 solutions différentes, c’est vraiment de l’épicerie. On peut avoir des livraisons à domicile avec ou sans signature, des livraisons en point relais, des livraisons sur rendez-vous, par coursier, etc.
Qu’est-ce que la crise sanitaire a changé pour C-Log ?
Depuis le confinement du printemps, nous avons une croissance de 70 % sur le e-commerce, ce qui nous a demandé encore plus d’adaptation. Avant on avait des équipes réparties sur le retail, le wholesale et le e-commerce, finalement pendant le confinement on a mis 100 % de nos moyens sur le e-commerce, c’était la seule façon de pouvoir répondre à des demandes très importantes, avec par ailleurs des conditions d’hygiène sanitaire compliquées qui freinent forcément la productivité. On peut dire que la Covid-19 nous a fait basculer un peu plus loin dans l’ère du e-commerce par obligation, on a gagné quasiment 5 à 8 ans de croissance e-commerce en une fois. Plein de gens se sont mis à commander sur internet et ont finalement trouvé ça facile. Même les plus réticents commandent sur internet par peur d’aller dans les magasins. Toute cette transformation qui était assez longue jusqu’à maintenant, s’est faite brusquement, et maintenant cela s’installe, le rythme e-commerce qu’on a gagné en 6 mois est devenu normal. On peut dire que cela tombe plutôt bien pour nous, puisque d’ici quelques mois nous aurons un entrepôt robotisé très innovant pour le e-commerce, l’investissement était prévu avant la crise, mais il prend encore plus de sens maintenant.
C-log a donc une stratégie innovante, est-ce que vous vous êtes préparés à l’arrivée de l’IA en collectant de la donnée ?
On est très innovant c’est vrai, mais on a surtout été très innovant sur la mécanisation des entrepôts. C’est courant maintenant dans la logistique, Amazon met beaucoup de marketing autour de ça, mais finalement ce sont les mêmes outils qu’on retrouve un peu partout aujourd’hui. Nous chez C-log on s’est mécanisé en 2006, c’était précurseur à l’époque, on avait même une installation unique en Europe dans notre activité. On a mis en place des systèmes de stockage automatisés qui sont en fait de grandes cathédrales d’acier, avec des navettes qui vont chercher les colis. L’innovation vient du fait que ce n’est pas l’être humain qui va chercher la marchandise, c’est la machine qui va amener les colis à l’être humain sur son poste de travail. Evidemment progressivement on a créé énormément de données, puisqu’on a des systèmes informatiques pour gérer la marchandise, les commandes, les flux, les réceptions, la traçabilité. Donc la mécanisation a été la première étape, puis vers 2010-2011 l’un de nos clients nous a demandé un portail client pour pouvoir suivre l’état de nos réceptions, nos expéditions, etc. La première version n’était pas géniale, ce portail avait été construit dans une logique d’informaticien, c’était trop technique et pas du tout pratique pour nos clients. Quand je suis arrivé chez C-log, j’ai donc complètement revu ce portail en collaboration avec nos clients. En parallèle je me suis formé à tout ce qui était en rapport avec la Big Data. Ce qui me paraissait essentiel c’était de fournir à nos clients des données fiables et surtout en temps réel, ce qui était un peu nouveau à l’époque. Pour suivre les transports il fallait aussi avoir des camions connectés, il y a 5 ans ce n’était pas le cas partout, maintenant c’est devenu la norme. Une fois qu’on a les données, on peut se projeter donc j’ai commencé à faire des conférences sur la Big Data dans la supply chain, en creusant le sujet je me suis pris de passion pour ces questions. Je me suis aussi rendu compte que tout le monde parlait de la Big Data et de l’IA, mais que personne en faisait réellement, et que finalement nous étions sur la bonne voie avec notre fameux portail client.
La Big Data dans la supply chain permet beaucoup de choses, grâce aux données, nos clients peuvent avoir une vraie vision de leurs stocks à toutes les nombreuses étapes de la chaîne. Avoir en temps réel une bonne vision de ses stocks permet de mieux piloter son approvisionnement, donc d’avoir moins de stock, de faire des économies et d’avoir une meilleure trésorerie en minimisant les risques. Dans la supply chain, on dit souvent qu’on veut avoir le bon produit au bon moment dans les bonnes quantités, et au meilleur prix. Pour réussir à faire ça, il faut avoir une bonne vision de la donnée du produit. Chez C-log nous avons fait des calculs : nous distribuons entre 80 et 100 millions de pièces par an, si une pièce est touchée 10 fois, on va générer 1 milliard de données par an, ce qui n’est pas rien. Notre travail a été ensuite de trier toutes nos données, de mettre ça dans un MDM (Master Data Management) puis de les restituer au client de manière user-friendly, et déjà avec cet outil on a un avantage concurrentiel puisque ce service est très apprécié par les clients. Grâce aux données en temps réel, nos clients sont capables de réagir très vite à la demande, mais il y a un autre paramètre à prendre en compte, il s’agit de savoir à l’avance où mettre leur stock, pour quel canal de vente ou pour quel magasin, et là il faut travailler avec des algorithmes.
C’est là que la prédiction des ventes pourrait intervenir ?
Dans le passé on faisait cela avec l’expérience, le ressenti et donc un peu au doigt mouillé, on avait des outils mais on avait zéro prédictif. On avait les historiques des années passées sur plusieurs magasins, on surveillait les rotations de stocks dans les magasins ou sur le e-commerce, on mettait dans la balance un coefficient plus fort sur les ventes des quinze derniers jours et avec ça on arrivait à peu près à prédire ce qui allait se passer dans les semaines à venir. Mais moi je ne trouvais pas ça suffisant. À l’époque où je travaillais chez H&M, je m’occupais de l’approvisionnement des boutiques de toute l’Europe du sud. Comme les dirigeants sont suédois, pour eux ça voulait dire du nord de la Belgique jusqu’au sud de la Grèce. La mode étant un secteur météo-sensible, la Belgique et la Grèce ne vendent pas la même chose au même moment. J’avais donc commencé à faire des courbes de température que j’ai suivi pendant deux ou trois ans, et je me suis aperçu que l’été se finissait de plus en plus tard ce qui bouleversait les habitudes d’achat. Les données météo étaient très importantes à prendre en compte pour prédire nos ventes.
En arrivant dans la logistique chez C-log, quand j’ai commencé à travailler sur ces sujets de Big Data, je me suis dit qu’il faudrait aussi affiner nos prévisions. Selon nos clients les prévisions dans la logistique sont plus ou moins justes à 20 %, ce qui est énorme, c’est très compliqué pour nous de travailler avec des prévisions aussi fausses. Derrière ces prévisions d’activité, on va mettre des intérimaires, des gens sur le terrain pour traiter les commandes. En partant de ce constat, je suis allée à un salon sur l’IA pour rencontrer des gens dans ce domaine. Ma demande était de pouvoir affiner les prévisions de la supply chain en prenant notamment en compte la météo, avec un système de prédiction d’activité, qui ne se ferait pas en chiffre d’affaires mais plutôt en nombre de pièces. C’est là que l’IA intervient : je peux utiliser les données du passé, les données du présent mais après il faut aller chercher de la donnée ailleurs pour faire un espèce de milkshake entre données du passé, du présent et extérieures à l’entreprise, c’est-à-dire la météo mais aussi des données de la concurrence. Si on reprend le e-commerce, on peut regarder la navigation des internautes avant même qu’ils achètent, si on voit que les internautes vont chercher les manteaux sur une journée, on peut être quasi sûr que le lendemain les ventes e-commerce en manteaux vont exploser, et le surlendemain, nous en logistique il faudra qu’on assure les préparations et les livraisons de ces commandes.
Pour faire simple, nos clients, qui n’ont pas encore de prévisions de vente fiables, nous posent de grosses difficultés en termes d’organisation. En mettant quelques algorithmes en place avec toutes ces données, on pourrait obtenir de bien meilleures prévisions avec 1 à 2 % d’écart, et là ça ferait toute la différence. Quand on prend des intérimaires parce qu’on nous annonce X commandes et qu’en réalité, il y en a 20 % en moins, que faire de ces bras en trop ? C’est donc une vraie perte. À contrario, si on a 20 % de personnel en moins parce qu’on a pris des commandes qui n’étaient pas du tout prévues, là on va courir dans tous les sens et le client ne sera pas satisfait parce les commandes ne seront pas livrées assez rapidement. Donc oui moi clairement je pense qu’il faut passer de la réactivité au prédictif parce qu’aujourd’hui c’est difficile de travailler sereinement. Dans le e-commerce avec les flux de commandes qu’on a et la situation économique actuelle, les entreprises ne peuvent pas tolérer que nous soyons en retard, il y a donc beaucoup de nervosité. L’intelligence artificielle nous aiderait vraiment à aller plus loin.
Il faudrait donc que vous alliez bien au-delà des prévisions de vos clients, pour que vous puissiez à la fois faire des économies en gérant mieux vos ressources humaines, et répondre sereinement au pic d’activité, c’est dans ce sens-là que l’IA est un outil intéressant pour vous ?
Oui tout à fait, il y a deux ans c’était dans les projets de C-log, j’avais donc rencontré un prestataire avec qui on n’était pas loin de faire un POC pour développer un système de prédiction fiable. Déjà à l’époque quand je travaillais chez H&M, avec des outils archaïques j’avais pu déterminer les courbes de ventes de chaque magasin et gérer en fonction les approvisionnements et les ressources humaines, ce qui avaient permis de faire d’énormes économies et d’exploser les seuils de rentabilité. Une initiative qui m’a permis à l’époque d’être promu et de travailler à un niveau européen. Donc quand je suis arrivé dans le groupe Beaumanoir, je me suis dit qu’on pouvait faire la même chose dans la logistique au niveau des entrepôts. On a des ratios de productivité à atteindre et donc derrière on a des heures à mettre en face, et clairement aujourd’hui ce n’est pas optimal parce que nos prévisions sont aléatoires, surtout en 2020. Il est certain qu’un système avec de l’IA me permettrait de mieux piloter l’activité. Pour les 15 ans de C-log, nous avions fait une conférence pour parler des outils logistiques du futur avec plusieurs intervenants : EY qui a présenté son système de prédiction des ventes, La Poste qui nous a parlé de camion connecté et de drone, et l’entreprise Vekia venue présenter un outil d’approvisionnement des magasins avec de l’IA. Il s’agissait de machines capables d’approvisionner des magasins mieux que des êtres humains. En effet, un humain peut être très performant un jour, et moins le lendemain. Une machine, elle, aura toujours la même productivité, l’émotion ne rentre pas en jeu, elle ne fera donc pas d’erreur d’un jour à l’autre. De plus, il y a tellement de données à gérer qu’une IA sera capable de démultiplier son intelligence alors qu’un cerveau humain n’y arrive plus. J’avais trouvé cet outil parfait et le sujet vraiment passionnant. Pour moi on doit pouvoir mettre notre expérience d’être humain dans une machine qui elle va être fiable et être capable d’accélérer au-delà du cerveau humain.
Ces idées sont restées à l’état de projets pour le moment chez C-log, qu’est-ce qui a freiné la mise en place d’outils d’IA ?
Il faut convaincre les dirigeants et les décideurs que ces systèmes-là marchent. En général ce sont de gros budgets, et on a déjà tellement de sujets en route qu’il est difficile de lancer un nouveau projet. Il faut du temps pour que ça rentre dans les priorités de chacun. Et puis il y a aussi le fait que ça serait plutôt à nos clients de faire de la prévision, pas à nous. Finalement le sujet s’est retrouvé noyé dans les projets du groupe, mais je suis resté en contact avec ces prestataires parce que je suis toujours persuadé que ces outils pourraient nous permettre de faire de belles économies. D’ailleurs le sujet est récemment revenu à l’ordre du jour puisqu’on est en train de mettre en place un OMS, un Order Management Système, qui nous permettrait de prendre le stock au meilleur endroit pour le livrer à un client final. Aujourd’hui le stock a tendance à se démultiplier dans plusieurs entrepôts, notamment celui consacré au e-commerce qui sera à Orléans alors que les stocks du groupe Beaumanoir sont à St-Malo. Ce qui signifie qu’on va retrouver la même référence à plusieurs endroits différents : un entrepôt e-commerce, un entrepôt retail et les magasins. Quand une cliente va aller sur le site de Morgan par exemple, elle va commander une robe en 38 qui pourra être dans ces multiples endroits, l’objectif de l’OMS sera de regarder dans quel stock il sera plus logique de la prendre et de l’expédier. Si la cliente est à Marseille et que la robe est dans un magasin à 500 m de chez elle, ça serait illogique de demander à l’entrepôt d’Orléans de préparer cette commande. Ceci-dit, ce n’est pas si simple, il y a aussi une question de coût. Si la cliente veut être livrée en 24h et qu’elle est prête à payer un supplément, là on ira chercher au plus court, mais si son choix se porte sur une livraison de 2 à 3 jours sans supplément, là il sera plus rentable pour nous de faire partir le colis en même temps que d’autres livraisons depuis l’entrepôt principal. De notre point de vue, réduire les trajets n’est pas forcément plus économiques.
Pour faire le lien avec notre précédent ouvrage qui traitait de l’IA et l’environnement, vous êtes en train de dire que la réduction des trajets, et donc de l’empreinte carbone, n’est pas du tout corrélée avec une diminution du coût de la livraison pour vous ?
Il faut avoir en tête que préserver l’environnement dans la supply chain coûte cher. Tout le monde veut le faire mais personne ne veut payer. L’équation est compliquée. En revanche les marques aujourd’hui ont besoin de s’acheter une conscience écologique vis-à-vis de leur clientèle, on est donc en train de mettre en place des choses, on va proposer des logistiques écoresponsables en prenant part financièrement à des programmes de réduction de carbone, et on va proposer à nos marques de participer à ce projet et de pouvoir ensuite communiquer dessus. En résumé, on va acheter des crédits carbones pour compenser nos dépenses. Nous, on a fait notre bilan carbone, sans surprise c’est au niveau des transports qu’on va dépenser 90 % de nos émissions de CO2. Comme on sous-traite toute cette partie, on ne peut rien faire d’autre que demander à nos transporteurs d’être plus écoresponsables, mais les prix vont augmenter. Nous sommes aussi en train de tester des camions de livraisons électriques, sur une zone entre Saint-Malo et Rennes. Cela reste encore anecdotique puisque cela ne concerne qu’une dizaine de boutiques, et pour le e-commerce on ne peut pas mettre ce genre de système en place. Quant à l’intelligence artificielle, elle nous permettrait de choisir le meilleur endroit d’où faire partir la commande, on pourra réduire les délais, les trajets, mais le coût du transport ne sera pas impacté. Pour que le coût du transport diminue il faut qu’il soit massifié, mais dès qu’on fait de l’épicerie, qu’on va chercher les produits à droite et à gauche, cela ne marche pas. Après il y a maintenant le click and collect qui peut solutionner en partie ce problème, si la cliente commande sur le site e-commerce et va chercher son article dans la boutique à proximité de chez elle, la livraison ne lui coûtera rien et on réduira les transports puisque l’article sera présent dans le réassort normal de la boutique.
Pour revenir aux applications de l’IA, dans votre cas, est-ce que la rationalisation des tailles de colis peut vous concerner ?
La mode est un secteur vraiment particulier en termes de rythme et de typologie de produits, nous avons des produits souples, mous, qui se plient facilement, et des boites de chaussures. Dans notre secteur, on est donc assez loin des logistiques comme Amazon où toutes les boites sont mesurées en 3d, et les tailles de colis calculées. Quand une commande e-commerce de 5 produits tombe chez Amazon, vous avez tout un système d’algorithmes qui vont calculer comment les produits vont pouvoir être mis dans un espace le plus réduit possible et choisir un modèle de carton où il y aura très peu de vide. Le vide en transport c’est de l’argent perdu et ce n’est pas écoresponsable du tout, même si ça ce n’est peut-être pas leur première préoccupation. De notre côté, on s’est posé la question de mettre en place un système d’optimisation des cartons, mais il s’avère que la valeur ajoutée n’est pas si évidente que ça. Finalement le bon conditionnement va se choisir à l’œil grâce à l’expérience de l’opérateur.
L’IA et les robots ne sont donc pas encore prêts à remplacer totalement l’humain dans vos entrepôts ?
L’IA est un outil génial, mais l’humain restera toujours central, on aura toujours besoin d’humains pour paramétrer les machines et réaliser des tâches qu’elles ne seront jamais capables de faire. Evidemment, les machines réduisent tout de même le personnel. Dans le nouvel entrepôt que nous sommes en train de construire pour le e-commerce, on aurait pu avoir environ 200 personnes pour traiter les mêmes volumes de commandes sans l’aide des machines, là on aura plutôt entre 30 et 40 personnes mais qui seront très qualifiées pour entretenir, paramétrer et réparer les machines si nécessaire. Il y aura aussi des opérateurs logistiques pour les emballages complexes et les retours colis. Les robots ne sont pas encore capables de faire des conditionnements complexes. Aujourd’hui le client veut de la personnalisation et vivre une vraie expérience d’achat, donc les marques nous demandent de travailler les conditionnements et l’emballage de façon personnalisée. Autant vous dire que du point de vue de développement durable on y est pas du tout, on met des suremballages, du papier de soie, des cartes, des stickers…Cette personnalisation-là, une machine ne peut pas la faire parce qu’il faut prendre le produit délicatement, l’emballer d’une certaine manière, tout particulièrement sur des marques de luxe. Peut-être que dans 50 ans les robots pourront le faire, mais aujourd’hui ce n’est pas possible.
En revanche l’IA peut permettre de mieux connaître ses clients et de répondre à leurs attentes ?
Oui alors j’ai un très bon exemple pour vous là-dessus. Il y a quelques années, à l’époque où je travaillais sur le portail pour nos clients, le groupe Beaumanoir avait racheté la marque La City, qui était une marque de vêtements dans un style working girl. Cette marque qui datait des années 70-80 était un peu fatiguée, le groupe la rachetée et elle est rentrée dans notre système. En faisant une étude pour voir ce qu’on pouvait faire pour cette marque, j’avais remarqué qu’il y a avait des quantités vendues d’un coup plus importantes que d’autres sur le site e-commerce et je ne comprenais pas pourquoi. En regardant la nature de ces commandes e-commerce, je voyais plusieurs quantités par taille, 3 M pour le pull, 3 tailles 40 pour la jupe, pareil pour la veste, quand j’ai regardé qui avait passé commande, je me suis rendu compte que c’était une société d’hôtesses d’accueil. En creusant un peu plus, j’ai vu qu’en fait il y avait plein de professionnels qui commandaient sur le e-commerce, des hôtels, des restaurants, il s’agissait finalement d’achat d’uniformes, c’est pour cette raison qu’il y avait des commandes groupées. J’avais prévenu les gens qui s’occupaient de la marque, ils n’avaient pas trop pris le sujet, puis elle a fermé un an après. J’ai trouvé ça complètement dommage parce qu’il y avait un potentiel énorme en BtoB si on avait cerné plus vite les profils des clients. Moi je l’ai vu avec mon cerveau d’humain au bout d’un certain temps, mais une IA l’aurait remarqué toute de suite en voyant la récurrence de ce genre d’informations.
Pour vous l’IA va devenir indispensable dans votre secteur ?
Oui moi personnellement j’en suis convaincu, maintenant il faut convaincre les autres que l’IA apportera des économies et un bon ROI. Si j’investis 200 000 euros dans l’IA, combien de temps il me faut pour les récupérer ? C’est le seul sujet qui compte pour convaincre. Moi je peux vous dire que j’ai fait le calcul, un outil de planification comprenant de l’IA serait rentabilisé en 1 an et demi maximum, parce que je sais que derrière nous pourrions faire d’énormes économies en gérant au mieux la masse salariale.
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