IA & Santé : Quand la e-santé intègre des briques d’Intelligence Artificielle
Ingénieur télécom et développeur informatique spécialisé dans le domaine de la santé, Robert Boualit nous présente Solutions Santé Digitale (SSD), la société qu’il a créée en 2016. Relevant du domaine de la e-santé, cette entreprise édite différentes applications destinées à accompagner les patients et leurs médecins, dont certaines utilisent l’intelligence artificielle.
Pouvez-vous présenter votre structure, Solutions Santé Digitale ?
Solutions Santé Digitale est une société qui se positionne aussi bien sur le conseil que sur l’édition. Nous accompagnons des clients, qu’il s’agisse de startups ou de professionnels de santé, sur des projets santé et santé connectée, mais nous sommes également éditeurs de nos propres outils, notamment sur l’hypertension. Ces outils sont donc développés sous la marque SSD, en partenariat, souvent, avec des sociétés savantes ou avec un médecin. Pour l’hypertension, par exemple, nous avons collaboré avec la fondation de recherche sur l’hypertension artérielle.
Vos solutions prennent donc la forme d’applications ?
Aujourd’hui, celles que nous éditons sous Solutions Santé Digitale sont toutes des applications smartphones. Nous avons aussi quelques briques techniques, que l’on met à la disposition de nos clients, comme une brique de téléconsultation, une brique de prescription médicamenteuse, etc.
Quel est le rôle de ces applications ?
Nous nous positionnons dans une thématique d’optimisation du parcours de soins et donc de la prise en charge, mais aussi de la relation patient/médecin. Typiquement sur l’hypertension, nous cherchons à fluidifier cette relation, qui est parfois complexe car la tension est un sujet sensible. La manière de la mesurer n’est pas toujours simple, et n’est surtout pas toujours bien comprise par les patients. Nous développons donc des applications qui les accompagnent, qui leur expliquent comment faire une prise de tension correcte, et qui transmettent des informations déjà pré-analysées au médecin. Cela facilite la prise en charge du patient, mais aussi l’analyse du médecin, qui se retrouve avec des données complémentaires qui lui permettent de prendre des décisions.
Quelle place prennent vos solutions dans le quotidien des professionnels de santé ? Et dans celui des patients ?
Nos solutions rentrent dans le domaine de l’aide au diagnostic pour les professionnels de santé, mais aussi pour les patients, puisqu’elles leur permettent d’organiser la prise en charge de cas pathologiques. Dans le cadre de l’hypertension par exemple, elles aident à savoir quoi faire avant une première visite médicale, car si l’on manque d’éléments, c’est compliqué pour le médecin de faire correctement son travail. Nos solutions préparent donc la visite médicale.
Comment vous est venue l’idée de créer Solutions Santé Digitale ?
Je travaille dans le domaine de l’informatique depuis longtemps, et Solutions Santé Digitale n’est donc pas ma première création. En 1998, j’ai créé Enora Technologies, puis j’ai travaillé dans une structure plus importante. Je suis quelqu’un d’assez créatif, qui aime que les choses aillent vite. Or, dans ce type de structure, c’est parfois difficile de faire avancer des projets. En termes de tempérament et d’envie, l’idée de créer ma propre société correspondait donc davantage à mon projet de vie. Je voulais avoir une certaine forme d’autonomie et de vitesse dans la réalisation de mes projets, alors j’ai créé SSD.
Toutes les applications développées par Solutions Santé Digitale incluent-t-elles de l’IA ?
Pas toutes, non. Aujourd’hui, beaucoup de gens utilisent l’IA sans être capables de préciser de manière exacte ce qu’elle apporte dans leurs solutions. L’intelligence artificielle fait partie de la palette d’outils que nous mettons en place, mais nous ne sommes pas à la recherche forcenée de l’insertion de l’IA dans nos applications. Nous en incluons lorsque cela fait sens, lorsque ça apporte un plus à nos solutions. Sinon, nous utilisons des algorithmes plus basiques, qui fonctionnent parfois tout aussi bien.
De quelle manière intervient l’IA dans les applications qui en contiennent ? Pouvez-vous nous donner l’exemple de l’une d’entre elles ?
Chez Solutions Santé Digitale, nous ne sommes pas des experts de l’IA, donc nous travaillons avec des prestataires. Pour l’hypertension, cela s’est fait par l’intermédiaire de la fondation de recherche sur l’hypertension artérielle, qui est constituée d’experts de cette maladie. Nous avons l’exemple très concret d’un algorithme que nous sommes en train de mettre en place pour l’application Suivi HTA, qui a pour but d’optimiser le parcours des patients hypertendus. Aujourd’hui, il existe un outil qu’on appelle l’auto-mesure, qui est important pour permettre au médecin de savoir si le patient est correctement traité. C’est un outil assez contraignant, qui impose au patient de mesurer sa tension artérielle matin et soir, à 3 reprises, pendant 3 jours. Nous travaillons donc avec un prestataire expert en machine learning et deep learning, qui a élaboré pour nous un algorithme de deep learning permettant de réduire ce nombre de mesures. En fait, les outils ont déterminé qu’après un certain nombre de séquences de prise de tension, le nombre de mesures était suffisant car la moyenne globale ne bouge presque plus. Il est donc possible de s’arrêter à 2 ou 3 séquences. Il s’agit là d’un confort d’utilisation pour le patient, pour un résultat médical qui est le même. C’est assez disruptif, parce qu’aujourd’hui le consensus international demande 6 séquences, alors que, selon notre algorithme, il est possible de s’arrêter bien avant, pour une majorité de personnes.
Comment sont développées vos solutions d’IA ?
Nous suivons toujours le même schéma. D’abord, nous partons d’une idée. Je reprends l’exemple de l’hypertension, pour laquelle nous avons discuté avec la fondation. En l’occurrence, son président et notre interlocuteur, le professeur Girerd, a eu des intuitions que l’on a souhaité confirmer grâce à des algorithmes. La deuxième étape est celle de la production de la donnée. Pour créer un algorithme, il faut des données fiables et en quantité suffisante. Pour nos partenaires, nous produisons donc un jeu de données qui leur permet, par la suite, d’évaluer un certain nombre de stratégies. Puis ce sont eux, les experts d’IA, qui déterminent les outils et stratégies qui rencontrent nos objectifs. Ils y travaillent et finissent par nous livrer un algorithme dans lequel nous plaçons des données d’entrée. En fonction de ce qu’il en tire, il nous fournit une réponse.
Quelles sont les compétences et métiers que vous devez intégrer dans le développement de vos solutions ?
Nous faisons appel à des prestataires d’IA et à des experts de santé, puis nous nous positionnons au centre. Je ne prétends aucunement avoir des compétences médicales, mais j’ai pris l’habitude, au cours de mes nombreuses années de travail auprès de médecins, de modéliser le raisonnement médical, et donc de comprendre quels sont les variants et les variables de la décision finale. Notre rôle est d’orienter les experts métiers sur les manières d’exprimer leurs connaissances, afin qu’elles puissent être exploitées.
Quels sont, d’après-vous, les freins à la démocratisation de l’IA en santé ?
Selon moi, le premier frein, c’est le risque. Dans le domaine de la santé, l’erreur peut coûter très cher. La mesure et l’analyse des risques sont donc des facteurs cruciaux. Lorsque l’on confie des décisions à un algorithme d’IA, la moindre erreur peut avoir des conséquences dramatiques. Un second frein relève du même domaine : celui de la responsabilité de l’algorithme.
Il y a également des freins d’usage, car les médecins sont des populations particulières, qui ne sont pas forcément technophiles. C’est un problème de confiance en la machine.
Enfin, on retrouve la problématique de l’interopérabilité des données. Pour alimenter des algorithmes, et notamment des algorithmes d’intelligence artificielle, il est crucial d’avoir des données de très bonne qualité. Or, dans la pratique courante, le médical n’est pas toujours structuré et il s’avère parfois difficile de collecter des données complètes et fiables. Cette problématique est amenée à évoluer bien sûr : de nombreux travaux sont exécutés dans ce domaine.
De manière plus générale, quel rôle pensez-vous que l’IA joue dans la santé ?
Je pense que son rôle, dans la santé, se constitue progressivement. Ce qui fonctionne bien avec l’intelligence artificielle en santé, c’est essentiellement ce qui tourne autour de la classification, notamment autour de l’imagerie médicale (reconnaissance de formes, de cancers, etc.). L’analyse d’image se prête bien au jeu, car elle compte des volumes de données importants, qui sont à disposition des outils d’IA. Cela fonctionne pour le traitement du signal en général : on voit aussi émerger des choses en cardiologie, sur l’analyse de données issues des monitoring, etc. Mais ça reste dans du traitement de signal, de la détection de formes.
Je vois également ressortir les sujets des traitements, des prescriptions, des analyses médicaments, des analyses d’interactions… Là aussi, il existe des bases de données assez structurées. Rien qu’en France, il y a peut-être 3 ou 4 startups qui émergent dans le domaine de l’aide à la prescription. Pour le reste, d’après mes recherches et mes discussions personnelles, je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup de choses concluantes. Je pense d’ailleurs qu’il y a beaucoup de revendications d’IA qui sont simplement de l’algorithme.
Selon vous, le rôle de l’IA dans la santé s’apparente donc à de la détection et à de l’accompagnement ?
Oui, cela me paraît assez évident aujourd’hui. Je pense surtout qu’en tant qu’outil de tri et de détection, avec une décision médicale humaine qui vient par la suite, l’IA a sa place dans la santé.
Quelle est votre position quant aux questions éthiques liées à l’intégration de l’IA en santé ?
Je ne suis pas tellement préoccupé par la partie éthique de l’intelligence artificielle car je ne pense pas que les données qu’on manipule aient de biais particuliers, puisque les données de santé restent relativement neutres. En revanche, j’ai plus de questionnements sur la problématique de la responsabilité et du risque, comme j’ai pu le dire précédemment. C’est ce qui m’inquiète le plus, car on ne peut pas garantir à 100 % qu’un algorithme ne fera pas prendre de mauvaises décisions.
Vous parlez du point de vue de celui qui propose les solutions. Croyez-vous à une crainte des machines, du côté du public ?
Forcément un minimum, mais elle n’est pas toujours objective. Je pense effectivement que cette crainte touche le public, mais historiquement les médecins sont eux aussi assez méfiants à l’égard de la technologie. Avant qu’ils fassent confiance aux machines, il reste un peu de travail.