Comment intégrer des équipements réseaux et hébergement dans une démarche de sobriété numérique ?

Publié le 31 janvier 2023
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Face à l’augmentation de notre consommation numérique, fabriquer et utiliser des infrastructures réseaux et des centres de données nécessite aujourd’hui des ressources énergétiques de plus en plus importantes, ce qui n’est pas sans poser de réelles problématiques environnementales. Les grands opérateurs, GAFAM ou hébergeurs mais aussi les internautes peuvent néanmoins s’appuyer sur des pistes de solutions pour limiter l’empreinte carbone de ces infrastructures, que ce soit à travers des techniques de refroidissement des serveurs, en passant par l’ « edge cloud » ou par des usages web plus modérés.

Cet article est le second d’une série en trois parties sur les sources de pollution numérique à intégrer dans une démarche de sobriété : d’abord la programmation informatique (fabrication du code), puis les réseaux et les datacenters et enfin l’usage des terminaux.

La fabrication et l’utilisation des réseaux et data centers à l’origine d’une pollution numérique importante 

Composantes du système technique, constituant la partie matérielle du numérique, les infrastructures réseaux (câbles terrestres et sous-marins, antennes de réseaux mobiles, fibres optiques etc.) et les centres de données, ou data centers en anglais, utilisés respectivement pour connecter les terminaux (smartphones, ordinateurs, tablettes etc.) entre eux et stocker, traiter des informations, fonctionnent de pair. Autrement dit, les terminaux échangent des informations stockées et traitées dans les data centers. Les infrastructures réseaux et les centres de données nécessitent de l’énergie pour être fabriquées (extraction minière des matières premières) mais aussi pour être utilisées. 

Vers une plus grande puissance des câbles sous-marins

Environ 99 % du trafic numérique mondial transite par le biais de tuyaux de métal déployés au fond des mers, contenant des fils en fibre optique, enveloppés dans du polyéthylène, où les informations transitent à 200 000 kilomètres par seconde1. Pour être exact,  près de 450 câbles tapissent les profondeurs des océans sur 1,3 millions de kilomètres, soit plus de 30 fois la circonférence de la Terre. Leur durée de vie est d’environ 25 ans mais il arrive que leurs propriétaires, qu’ils soient de grands opérateurs d’internet (deutsche telecom, AT&T, Vodafone, Orange…) ou des GAFAM tels que Google ou Facebook, les remplacent avant cette échéance par d’autres tuyaux renforcés en termes de fibres, offrant ainsi des capacités technologiques plus puissantes. L’enjeu pour ces opérateurs  est alors d’allouer davantage de débit à ses clients pour échanger toujours plus de données, toujours plus vite… C’est donc l’augmentation de notre consommation numérique qui est recherché au détriment de l’efficacité énergétique. Cela requiert en conséquence une disponibilité plus accrue de data centers, afin de stocker et traiter cette explosion de données. 

Des serveurs fantômes qui aggravent l’empreinte carbone des data centers

Comme pour les infrastructures réseaux, les hébergeurs ont une logique qui tend vers l’hyperdisponibilité des données, plutôt que la diminution des dépenses énergétiques. Ils surdimensionnent en effet les data centers afin de faire face aux éventuels pics de trafic, avec des serveurs fantômes qui sont là seulement par sécurité pour assurer une disponibilité immédiate. 30 % d’entre eux sont allumés alors qu’ils ne font rien1. Résultat : ces data centers consomment énormément d’énergie pour rien. Le plus gros datacenter de Google consomme par exemple autant qu’une ville de 200 000 habitants : son moteur de recherche indexant 20 milliards de pages par jour pour répondre à 3,3 milliards de requêtes quotidiennes et 40 000 par seconde1. Google possède aussi Youtube, qui rassemble environ 2 milliards d’utilisateurs dans le monde passant 4 milliards d’heures à regarder des vidéos chaque mois. 1,3 milliards de vidéos sont aussi hébergées au total. Cela représente autant de données et d’opérations à traiter qui nécessitent à la fois une immense capacité de stockage et une très grande puissance de calcul. En résumé, l’augmentation de la consommation énergétique des centres de données provient notamment  de la croissance du trafic de données, du volume de données à stocker, ou encore de la croissance du volume d’opérations2. L’Ademe estime que 1,5 % de l’électricité mondiale est utilisée par les data centers, soit l’équivalent de la production de 30 centrales nucléaires, un chiffre qui pourrait atteindre 4 à 5 % d’ici 20301

Des infrastructures responsables de la majorité des émissions globales

Les émissions de gaz à effet de serre liées à la consommation électrique nécessaire à l’activité des opérateurs, tant sur le plan du fonctionnement des réseaux, fixes et mobiles, que des data centers, représentent selon l’ARCEP la majorité des émissions globales3. L’étude  Empreinte environnementale du numérique mondial, réalisée par le média GreenIT.fr, indique également que l’empreinte carbone de la phase de fabrication des réseaux et data centers est moindre par rapport à l’empreinte carbone liée à leur utilisation : respectivement, 3 % et 1 % de leur consommation CO2eq sont dûs à leur fabrication contre 16 % et 14 % pour leur phase d’utilisation4. L’étude reconnaît cependant que les données manquent concernant l’extraction des métaux et les phases de production et de fabrication des équipements jusqu’à leur assemblage final. Sans données ouvertes et partagées, chaque organisation évalue en effet son empreinte carbone réseaux/data centers à partir d’hypothèses. Un manque de capacités sur l’analyse des données en conditions réelles d’usage pour les data centers est aussi prégnant : des inventaires précis existeraient mais avec des taux de puissance qui se basent non pas sur du cas par cas mais sur la puissance globale des data centers, ce qui risque de fausser les calculs de leur empreinte carbone. 

Des pistes de solutions pour limiter l’empreinte carbone des équipements réseaux et hébergement

Un rapport de The Shift Project, think tank de la transition énergétique, daté d’Octobre 2018,  donnait plusieurs tendances pour diminuer la consommation énergétique des data centers et par conséquent leur empreinte carbone : l’amélioration du PUE (Power Usage Effectiveness) de chaque centre de données ; l’amélioration de la linéarité de consommation des serveurs en fonction de la charge ou encore la concentration des serveurs dans des « hyper data centers »2.

Le PUE (Power Usage Effectiveness) est une valeur de référence qui permet d’évaluer l’efficacité énergétique totale du data center (incluant l’informatique et tous les moyens connexes de refroidissement, d’alimentation électrique, de protection, de redondance, etc..). Il mesure le rapport entre l’énergie totale utilisée par un datacenter et l’énergie effectivement consommée par ses équipements (serveurs, stockage, réseau). Un PUE est forcément supérieur à 1. Simple, très bien défini et largement reconnu, il  présente tout de même des inconvénients : il ne prend pas en compte par exemple la consommation d’énergies renouvelables (produites sur site ou à proximité), ni la récupération de chaleur 5.

Différentes techniques de refroidissement des serveurs

La filière des data centers s’est engagée fin 2022 à limiter son recours à la climatisation nécessaire au refroidissement des serveurs avec un passage, lorsque cela est possible, de 21 à 23 degrés dans les salles. Une initiative qui permettrait de diminuer leur consommation d’énergie de l’ordre de 7 à 10 %, selon les chiffres de France Datacenter.6 À noter que 40 % de la consommation électrique d’un data center classique sert aujourd’hui à le refroidir7.

Les bains d’huile permettraient aussi d’héberger de manière responsable ses données, en luttant contre la ventilation énergivore des data centers. Le principe : une fois chauffée au contact des serveurs, l’huile circule dans un échangeur thermique dans lequel elle sera refroidie puis réinjectée dans le réservoir. Ce procédé permet ainsi à l’huile de ne pas s’évaporer8.

La technique du « River Cooling », qui consiste à utiliser de l’eau naturellement froide et inutilisée provenant d’écoulement d’une ancienne mine, serait également efficace pour refroidir les centres de données qui hébergent les serveurs. Cela éviterait d’utiliser des groupes froids pour ainsi limiter la consommation énergétique et l’empreinte carbone des data centers. Le projet de River Cooling mené à Marseille9 par la société Interxion en est un bon exemple. 

Autre solution de refroidissement plus poussée, l’« immersion cooling » vise à immerger dans un liquide de refroidissement des serveurs informatiques pour économiser de l’énergie. La société ITrium, filiale de TotaLinux, a par exemple débuté début juillet 2022 la construction d’un data center totalement en immersion à Jouy-en-Josas, dans les Yvelines7. 4000 serveurs informatiques du data center seront précisément répartis dans 50 bacs et intégralement plongés dans un fluide chaud de synthèse mêlé à un circuit d’eau froide. L’eau chaude qui sera produite sera utilisée pour la consommation énergétique du bâtiment et réinjectée dans le réseau de chaleur urbain de la ville de Jouy-en-Josas.

Des solutions d’IA pour une optimisation énergétique des data centers

Clément David, CEO et cofondateur de Padok préconise, dans une tribune10 publiée sur le site datacenter-magazine.fr, l’usage d’un algorithme d’IA « qui attribue la charge de travail aux différents datacenters à travers le monde en fonction des données précises sur la météo et les taux d’électricité décarbonée dans les réseaux ». De cette façon, cela permettrait aux entreprises de moduler la charge et les opérations de calculs informatiques au sein des datacenters.

Le livre IA et environnement : alliance ou nuisance ?  partage également d’autres exemples de solutions d’intelligence artificielle pour optimiser l’énergie des data centers : 

  • Google aurait réduit de 40 % sa consommation d’énergie en s’appuyant sur de l’IA pour analyser quand est-ce que ses centres de données sont les plus sollicités (c’est-à-dire les moments où les internautes se mettent à regarder davantage de vidéos YouTube ou à effectuer d’autres recherches énergivores) et ainsi optimiser le refroidissement de ses data centers11
  • Huawei, le géant de la téléphonie mobile chinois, utilise iCooling, un système de gestion thermique intelligent qui identifie des paramètres entraînant l’augmentation d’une dépense d’énergie, et qui prédit l’efficacité énergétique de ses data centers. Cette solution qui est intégrée au centre de données China Mobile à Ningxia a permis de réduire sa consommation d’énergie totale de 3,2 %, soit une économie de plus de 400 000kWh d’électricité par an12 .
  • Microsoft s’est associé au fournisseur d’électricité suédois Vattenfall afin d’élaborer une solution de gestion de grilles intelligentes qui optimise la production d’énergie verte en fonction de la demande.13

Quant à la réduction du temps de transport des données, The Shift Project recommandait en 2020 d’appliquer le concept « d’edge computing » ou « d’edge cloud », dont l’objectif est de déconcentrer voire décentraliser le traitement et/ou le stockage des données dans des équipements plus proches des utilisateurs (hommes ou machines)14

Les FAI et FCA doivent prendre leurs responsabilités…tout comme les internautes

Les fournisseurs d’accès à internet (FAI) sont aussi en mesure de contribuer à réduire significativement la pollution numérique générée par leurs infrastructures réseaux en limitant la quantité de données des forfaits mobiles pour leurs clients (la connexion mobile étant plus consommatrice d’énergie que la connexion filaire).15 

Les grands fournisseurs de contenus et d’applications (FCA) tels que YouTube et Facebook ont également une part de responsabilité importante dans cette démarche de sobriété numérique en faisant le choix de limiter leurs demandes en centre de données et en infrastructures réseaux. 

Les FAI comme les FCA ne sont pas les seuls acteurs du numérique à pouvoir influencer une baisse de l’empreinte carbone des équipements réseaux et hébergement. En allégeant leurs mails (optimisation de la taille des fichiers transmis, nettoyage régulier de sa boîte mail, désinscription des listes de diffusion inintéressantes etc.),  en optimisant leurs recherches web (en créant des favoris dans son navigateur, en tapant directement l’adresse d’un site etc.) et en stockant intelligemment leurs données (stockage en local par exemple),  les internautes ont aussi un rôle à jouer pour accomplir cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.16

Enfin, l’initiative « Climate neutral Data Centre Pact » promeut une charte de neutralité carbone des data centers, en partenariat avec des associations professionnelles et des opérateurs de centres de données.5 

Sources :

1 : Saison Brune 2.0 (nos empreintes digitales), Philippe Squarzoni, 2022.

2 : Lean ICT, Pour une sobriété numériqueThe Shift Project, 2018. 

3 : Enquête annuelle « pour un numérique soutenable », ARCEP, 2022

4 : Empreinte environnementale du numérique mondialGreenIT.fr 

5 : Sobriété numérique : Piloter l’empreinte environnementale du numérique par la mesure, CIGREF, Décembre 2021. 

6 : « Datacenters : les opérateurs peu enclins à « s’effacer » », L’Usine Digitale, 2022. 

7 : « À Jouy-en-Josas, Itrium fait le pari du data center en immersion », Les Echos, 2022. 

8 : « Sobriété numérique et hébergement bas carbone », GRAFE. 

9 : « Été 2022 – River Cooling: une solution de refroidissement innovante et éco-responsable à Marseille »Datacenter-magazine, 2022. 

10 : « Sobriété numérique : comment entreprises et datacenters peuvent atteindre la neutralité carbone ? »Datacenter-magazine, 2022. 

11 : Auclert F., « Google : une IA aux commandes du refroidissement de ses datacenters », futura-sciences.com, 2018. 

12 : « L’intelligence artificielle aide huawei à construire des centres de données vert », chine-magazine.com, 2020. 

13 : « Vattenfall to deliver renewable energy 24/7 to Microsoft’s Swedish datacenters », group.vattenfall.com, 2020. 

14 : Déployer la sobriété numérique, The Shift Project, 2020. 

15 : NICOLAï Jean-Philippe, PERAGIN Lise, « Les certificats de sobriété numérique comme instrument de régulation de la pollution numérique », Revue de l’OFCE, 2022/1 (N° 176), p. 229-249. DOI : 10.3917/reof.176.0229.

16 : La face cachée du numérique – réduire les impacts du numérique sur l’environnement, ADEME, Janvier 2021.