Comment intégrer l’utilisation des terminaux dans une démarche de sobriété numérique ?

Publié le 02 mars 2023
7 minutes de lecture
déchets terminaux

Nos terminaux (ordinateurs, tablettes, smartphones…) causent aujourd’hui des dégâts environnementaux considérables. Leur fabrication provoque en effet un affaiblissement croissant de nos ressources terrestres. Une situation qui s’aggrave puisque nos mauvaises habitudes de consommation nous poussent à renouveler beaucoup trop régulièrement nos appareils numériques. Heureusement, des pistes de solutions existent afin de limiter leur empreinte carbone, que ce soit par le biais d’initiatives cherchant à allonger leur durée de vie, comme la conception de terminaux éco-responsables, ou encore grâce à des circuits de reconditionnement.

Cet article est le dernier d’une série en trois parties sur les sources de pollution numérique à intégrer dans une démarche de sobriété : d’abord la programmation informatique (fabrication du code), puis les réseaux et les datacenters et enfin l’usage des terminaux.

Nos usages des terminaux engendrent des conséquences environnementales désastreuses

Des ressources terrestres sous pression pour satisfaire une demande de terminaux toujours plus sophistiqués

Les terminaux (ordinateurs fixes et portables, tablettes, smartphones, téléphones portables traditionnels, téléviseurs connectés…) représentent aujourd’hui deux tiers des impacts environnementaux du numérique. On compte aujourd’hui 30 milliards d’équipements numériques dont 2,4 milliards de téléphones mobiles, 2 milliards d’ordinateurs, 15 milliards d’objets connectés et 3,6 milliards de smartphones1. Cet intérêt croissant et cette exposition aux écrans n’est d’ailleurs pas un phénomène nouveau puisqu’il date de l’arrivée des télévisions au sein des foyers domestiques dans les années 19502.  

Des terminaux aux nombreuses fonctionnalités et applications

Toujours plus puissants, polyvalents et nombreux, les terminaux sont responsables d’une augmentation de la consommation énergétique mondiale et font également pression sur les ressources nécessaires à leur fabrication. En effet, leurs fabricants, souhaitant répondre à la multiplication des usages numériques des consommateurs, proposent en permanence de nouvelles fonctionnalités et applications : un smartphone par exemple peut contenir un capteur de proximité, un capteur de lumière, deux caméras, trois micros, un capteur de gestes, un détecteur de proximité, de multiples antennes GPS, wifi, 4G, Bluetooth1…Ce qui entraîne par conséquent une consommation d’énergie plus importante lors des phases de production et d’utilisation du smartphone, du fait de l’extraction de différents métaux et de l’usage d’applications plus nombreuses.  

Les terres rares, des métaux très complexes à extraire et exploiter

Bien plus petit aujourd’hui, un smartphone est en mesure d’accueillir jusqu’à 60 métaux1 : lithium, magnésium, silicium, brome, or…qui sont utilisés pour concevoir les circuits imprimés, fabriquer la batterie, faire vibrer l’appareil ou encore des écrans tactiles. Une prouesse technologique, certes, mais qui n’est pas sans impact sur notre environnement, au contraire l’extraction et l’assemblage de ces métaux nécessitent le déploiement d’une immense infrastructure minière et industrielle qui prélève une part croissante de nos ressources terrestres. Les terres rares par exemple, un groupe de métaux indispensables à la fabrication des smartphones, tablettes et ordinateurs, sont très complexes à extraire et exploiter. La marche à suivre consiste à raffiner une très grande masse de terre afin d’extraire ces minerais en toutes petites quantités, puis à les concentrer ensuite avec des procédés chimiques très polluants voraces en eau et énergie. Cela génère alors des déchets qui peuvent contenir des substances radioactives (uranium, thorium…), ou encore des acides et métaux lourds dont la toxicité pollue les terres agricoles, rivières et les ressources en eau. Les poussières toxiques engendrent aussi une pollution de l’air. La fabrication d’un smartphone et d’un ordinateur portable de 14 pouces émettrait respectivement environ 120 Kg et 250 Kg Équivalent carbone. La seule fabrication d’un smartphone est responsable de la moitié de son empreinte environnementale, et de 80 % de l’ensemble de sa dépense énergétique durant tout son cycle de vie. 

Des montagnes de déchets électroniques causées par des phénomènes d’obsolescence 

L’augmentation croissante de l’empreinte carbone matérielle de notre système numérique n’est pas seulement liée à l’utilisation et la fabrication des terminaux mais aussi à leur fin de vie. En France, chaque personne produit en moyenne 23 kilos de déchets électroniques par an que ce soit des smartphones, ordinateurs, montres connectées etc. D’ici à 2030, le volume annuel de ces déchets devrait atteindre les 74,7 millions de tonnes. Ces derniers sont généralement envoyés dans des pays en développement pour être enterrés ou incinérés de façon artisanale, ce qui provoque l’empoisonnement des sols et une pollution de l’air.

Image par Maruf Rahman de Pixabay 

Une obsolescence matérielle, logicielle et culturelle

Cette explosion du volume de déchets électroniques s’explique notamment du fait des habitudes de consommation « inflationnistes » des pays en développement, influencées par des phénomènes d’obsolescence. D’après l’ADEME, les Français changeraient de smartphone tous les deux ou trois ans en moyenne3, alors que leur durée de vie est de sept à huit ans. Et la durée de vie d’un ordinateur est passée de onze ans à seulement quatre ans en trois décennies. En cause : 

  • Une obsolescence matérielle, causée par une usure, une casse et bien souvent une impossibilité de réparer,
  • Une obsolescence logicielle dû à un non support des logiciels utilisés par le téléphone ou bien par une incompatibilité des nouvelles versions des logiciels ou des systèmes d’exploitation (OS) avec les capacités du téléphone,
  • Une obsolescence culturelle incitant les utilisateurs à renouveler en permanence leur téléphone, souvent par souhait d’être à la mode ou du fait de pratiques publicitaires incitatives4. Les offres promotionnelles réalisées par les opérateurs, enseignes d’électroménager ou encore les fabricants participent en effet à l’accélération du taux de renouvellement des terminaux, tout comme leurs subventions opérées par les opérateurs.  

Le recyclage quasi-impossible

Une solution serait de recycler ces déchets électroniques mais ce procédé est très coûteux et polluant. Dissocier les terres rares des autres métaux implique de passer par des techniques complexes, coûteuses qui consomment beaucoup de produits chimiques et d’énergie. À l’heure actuelle, seuls 18 métaux sur 60 au total présents dans un smartphone sont recyclés à plus de 50 %. Seulement 10 % des déchets électroniques sont gérés de façon responsable en France1

 photo Tyler Lastovich, Unsplash

Des pistes de solutions pour limiter l’empreinte carbone des terminaux

Allonger la durée de vie des terminaux pour réduire leur renouvellement et le gaspillage électronique

Concevoir des terminaux éco-responsables 

La loi AGEC (Anti-gaspillage pour une économie circulaire), promulguée le 10 février 2020, oblige les entreprises à publier des indices de réparabilité et de durabilité à destination des consommateurs. Par ailleurs, une résolution, adoptée par le Parlement européen le 25 novembre 2020, et à l’attention de la Commission européenne, appelle notamment à une durabilité par la conception. Les fabricants pourraient notamment repenser le design des  terminaux d’une manière éco-responsable, en concevant par exemple des terminaux modulables4. L’objectif : donner à l’utilisateur la possibilité de changer les composants un à un afin de l’encourager à la fois à ne pas effectuer un rachat immédiat de son produit, et à générer par conséquent des déchets électroniques.

Assurer une durabilité des logiciels

Améliorer la durée de vie des systèmes d’exploitation (OS) serait aussi une mesure efficace afin d’assurer une durabilité d’ensemble de ces terminaux. Plusieurs actions pertinentes peuvent être mises en place comme le fait d’assurer un plus long support logiciel par les entreprises, ou d’améliorer la transparence afin de faciliter la maintenance par des tiers. Il faudrait distinguer les mises à jour correctives, installées systématiquement pour des raisons de sécurité, des mises à jour évolutives qui seraient installées seulement si l’utilisateur le décide. Pour éviter de rendre obsolètes des applications, les entreprises pourraient imaginer une meilleure interopérabilité des API (interface de programmation), via l’utilisation de standards par exemple. 

Pierre Gaudillat, responsable de projets scientifiques et techniques au Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne, recommande quant à lui de centraliser les calculs dans les centres de données plutôt que sur le smartphone de l’usager où les processeurs sont amenés à travailler davantage, ce qui pourrait poser problème sur la durabilité du terminal et sa batterie5.

Des pratiques qui limitent l’obsolescence culturelle

Des modèles de distribution pourraient être développés afin de réduire toute incitation au renouvellement des terminaux encore en état de fonctionner. La pratique de subvention d’un terminal par les opérateurs par exemple concernait 99,9 % des abonnements grand public en 20104 contre seulement 22 % en 2019. Une évolution encourageante mais qui s’avère encore insuffisante. Des initiatives, qui ne s’appuient pas sur la vente de terminaux neufs, mais qui se basent sur l’économie de la fonctionnalité, de la location ou de l’occasion, sont elles aussi à encourager.

Des actions simples du quotidien pour garder longtemps son téléphone

L’ADEME3 recommande aussi d’appliquer certaines actions afin d’allonger la durée de vie des terminaux, et notamment d’un téléphone. D’abord, le simple fait d’équiper son téléphone d’une coque ou d’un étui, et d’un verre de protection contre les éventuels chocs et rayures permettrait de prévenir la casse et d’éviter un rachat immédiat. Ensuite, pour éviter toute surchauffe, il est conseillé de ne pas laisser un téléphone en plein soleil, ni à proximité d’ondes électromagnétiques (comme celles du micro-ondes). Faire le ménage chaque mois dans les contenus de l’appareil, en supprimant par exemple des applications et fichiers inutiles, en transférant des photos et vidéos sur un ordinateur ou disque dur externe…éviterait de surcharger et altérer la mémoire interne. Si malgré ces précautions, le téléphone finit par tomber en panne, il faut d’abord penser à le réparer avant d’en racheter un autre, surtout s’il a moins de 2 ans et qu’il est encore sous garantie. Il est aussi tout à fait possible d’appeler le SAV du fabricant ou de faire appel à un réparateur indépendant. Il faut avoir en tête que la garantie légale, depuis le 1 er janvier 2022, est prolongée de 6 mois en cas de réparation et est réinitialisée pour 2 ans en cas de remplacement si le vendeur n’a pas pu procéder à la réparation. 

Se séparer de manière responsable de son appareil

S’il s’avère finalement qu’un téléphone ou un autre appareil électronique est hors d’usage, et que son renouvellement apparaît nécessaire, il est encore possible de le réparer, de le reconditionner puis de le revendre à bas prix et en dernier recours de le démanteler pour recycler les métaux qu’il contient. Plusieurs options sont envisageables : 

  • Confier son appareil à une entreprise de l’économie sociale et solidaire (une ressourcerie, une recyclerie…),
  • Utiliser un service de reprise à distance de son opérateur ou le site jedonnemontelephone.fr
  • Remettre son appareil à un magasin de téléphonie.

Choisir le reconditionnement

Opter pour un smartphone reconditionné offre plusieurs avantages : il procure les mêmes services qu’un appareil récent, est jusqu’à 8 fois moins impactant pour l’environnement qu’un appareil neuf3 (82 kg de matières économisées, 87 % de gaz à effet de serre en moins), coûte jusqu’à 75 % moins cher et enfin il est garanti 2 ans. D’autre part, selon l’ARCEP, la visibilité et la facilité d’accès des circuits de reconditionnement pourraient être accentuées, tout comme les mécanismes permettant d’accroître la confiance des utilisateurs dans ces circuits. Un utilisateur qui cède son terminal a par exemple besoin d’être rassuré sur le fait que ses fichiers ou messages ne pourront pas être retrouvés par ses reconditionneurs ainsi que par son prochain utilisateur. Toutefois, un reconditionnement n’est pas toujours simple à justifier comme le souligne Pierre Gaudillat5 : « Avant de pouvoir reconditionner un matériel, il faut qu’il soit un temps soit peu réparable, et donc cela touche à la question de la réparabilité, de la disponibilité des pièces détachées… Il y a certains matériels pour lesquels, au vu de l’évolution de la technologie, cela ne justifie pas un reconditionnement. »

Quant aux filières de recyclage, elles nécessitent encore d’être enrichies et d’être pris en compte dès les phases de conception et dans les processus de production des terminaux pour en accroître l’efficacité.

Sources :

1 – Saison Brune 2.0 (nos empreinte digitales), Philippe Squarzoni, 2022.

2 – Déployer la sobriété numérique, The Shift Project, 2020.

3 – Longue vie à notre smartphone, ADEME, septembre 2022.

4 – Pour un numérique soutenable, ARCEP, 2020.

5 – « Faut-il faire des usages un levier de la sobriété numérique ? », Renaissance Numérique, 2021.

Pour aller plus loin : Intelligence Artificielle et environnement : alliance ou nuisance ?, ouvrage publié aux éditions Dunod.