L'Open Source au cœur des valeurs et de la stratégie de la MAIF - François Desmier

Publié le 23 juillet 2024
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MAIF Web2Day 2022

Architecte informatique à la MAIF, François Desmier a débuté son parcours académique en obtenant une maitrise en informatique et mathématiques appliquées à La Rochelle. Après ses études, François Desmier a commencé sa carrière en travaillant dans le secteur de l’ESL (Exploitation des Systèmes d’Information), s’occupant de la gestion et de l’exploitation des grands systèmes informatiques. D’abord prestataire informatique indépendant pour des mutuelles du pays niortais, en 2012 François Desmier entre à la MAIF où il prend en charge la gestion et le suivi de la production informatique. Il se concentre alors principalement sur l’administration des systèmes et des bases de données, contribuant ainsi à la stabilité et à la performance des systèmes d’information de l’entreprise. François Desmier évolue ensuite vers un rôle d’architecte informatique, plus spécifiquement en tant qu’architecte de solutions. En parallèle il devient également l’un des acteurs de la stratégie open source de la MAIF, en tant qu’utilisatrice mais aussi éditrice de solutions depuis 2018. Outre ses responsabilités opérationnelles dans l’édition de logiciels open source, il est également actif dans l’animation de la participation de la MAIF à des salons et événements liés à la technologie, et notamment à l’open source.

Quel est le niveau de maturité de la MAIF sur l’open source ?

Nous avons commencé à « open sourcer » nos premières briques logicielles fabriquées en interne en 2018. On expérimentait des nouveautés, tout ce qui était précurseur dans notre domaine d’activité à l’époque et notamment l’architecture microservices. Nous avons conçu des briques techniques qui nous permettaient de mieux administrer nos microservices dans le cloud, de mieux les gérer, et de simplifier des mises en production, etc. Nous nous sommes rendu compte que ces briques, développées pour notre propre besoin, étaient finalement très génériques et pas axées sur le métier de l’assurance. Il s’agissait de briques informatiques et pas de briques métier. Nous avons donc eu l’idée de les rendre open source, ce qui a été un formidable moyen pour nos équipes de monter en compétences, en termes de démarche, de bonnes pratiques, d’exigence en sécurité,…Un véritable challenge ! C’est à partir de cette expérience, que nous avons décidé de mettre en place une vraie stratégie open source à la MAIF. L’idée était de laisser du temps à nos développeurs pour contribuer à des logiciels open source pour qu’ils ne soient pas juste utilisateurs. Cela nous permet entre autres de corriger nous-mêmes des solutions pour notre besoin et de reverser ces développements à la communauté. Cela fait donc 5 ans, que nous travaillons vraiment sur l’open source qui s’inscrit dans une stratégie plus globale, dont l’idée sous-jacente est d’attirer des talents techniques pour internaliser de plus en plus les compétences.

« L’objectif est de diminuer au maximum les interventions de ressources externes pour avoir une meilleure maîtrise de notre Système d’information. » 

Quelle est votre stratégie globale sur l’open source, en tant qu’architecte solution comment vous l’avez construite ?

En tant qu’architecte, on ne fait pas totalement ce que l’on veut, il y a des guidelines d’entreprises, des orientations données par la MAIF. La bonne nouvelle c’est que ces orientations prônent de privilégier les solutions open source et c’est lorsqu’on veut prendre une solution propriétaire qu’il faut se justifier. Tout nouveau service aujourd’hui s’inscrit dans une logique microservices, et lorsque c’est possible on ira vers une solution open source par défaut. Et comme je le disais, dans chaque filiale de la MAIF, on encourage nos développeurs à contribuer à une solution open source et de ne pas en être juste des consommateurs. 

Dans notre stratégie, on a aussi une partie financement de solutions open source. Tous les ans, on choisit deux projets open source qui nous intéressent, qui ne sont pas forcément soutenus par des grandes structures, et on leur verse une aide financière pour les encourager à maintenir ces briques primordiales pour nous. 

Du côté des solutions que nous éditons, tous les mois on organise un circuit open source pour se retrouver entre toutes les parties prenantes de chaque projet. Ces circuits sont l’occasion d’effectuer un suivi précis sur les avancées de chacun, de savoir ce qui va se faire ensuite, si des problématiques sont à résoudre, mais c’est aussi le moment de recueillir de nouvelles idées de contribution par exemple. Ensuite on a une autre rencontre bi-annuelle autour de ces nouvelles idées sur l’open source, avec tous les responsables reliés à l’IT (le responsable de la data, le DSI, le CTO, le directeur de la stratégie digitale…). On reste très pragmatique, le but n’est pas juste de s’auto-congratuler sur tout ce qu’on a réussi à faire, mais d’expliquer ce que c’est et à quoi cela va servir. On va aussi se poser la question de comment on peut attirer davantage de contributeurs externes sur nos solutions, et tenter de trouver des leviers pour être encore plus visibles. 

Ce qui est très intéressant, c’est le côté bottom up, puisqu’au départ l’open source est venu d’une initiative dans une équipe de développeurs, et que petit à petit cette initiative a fait boule de neige au sein de la MAIF jusqu’à devenir une vraie stratégie transversale.

Est-ce qu’en interne, l’utilisation d’outils open source est bien acceptée que cela soit par les développeurs ou par les équipes métiers ?

Si le produit répond aux besoins de l’utilisateur, l’aspect open source n’aura pas vraiment d’importance pour lui. Un gestionnaire de notre réseau qui va gérer un sinistre veut seulement que son outil fonctionne et lui fasse gagner du temps, donc l’open source ce n’est même pas un sujet. En revanche, pour les développeurs cela touche au cœur de leur métier. J’ai le sentiment que les nouvelles générations sont de plus en plus sensibles à cette manière de travailler en open source. Pour eux, l’open source est synonyme de qualité, c’est un vrai levier pour travailler correctement.

« Il y a une vraie démarche derrière l’open source, ce n’est pas de la communication, il y a des enjeux techniques et très concrets. »

Globalement l’open source est donc plutôt vu d’un bon œil en interne, même si au départ il y a eu quelques réticences exprimées par une poignée de personnes qui n’ont pas trop compris la démarche. Pourquoi changer les choses alors que le SI fonctionne très bien depuis 30 ans ? Mais avec le temps, par la preuve, l’open source a été accepté par tout le monde , et dans notre démarche de modernisation de notre SI, nous prévoyons de déployer des solutions open source au cœur même de notre SI de gestion des contrats et des sinistres.

Quels sont les avantages concrètement pour une entreprise aussi grande que la MAIF, d’avoir recours à l’open source ?

L’argument le plus facile serait de parler du coût, de dire que l’open source est plus économique. C’est une réalité mais ce n’est pas gratuit non plus, il y a un coût de maintenance, de support, un coût rh aussi puisqu’on laisse du temps à nos développeurs pour contribuer sur leurs heures de travail.

« Je pense donc que le grand intérêt de l’open source serait plutôt la liberté, puisqu’on se rend moins prisonnier qu’avec un produit sous licence propriétaire. »

Avec l’open source, tout est ouvert donc on peut changer facilement de support, on n’est pas lié à un prestataire ad vitam aeternam. Ce sont aussi des technologies qui évoluent très vite, et l’open source est un modèle pérenne, on le voit avec le noyau Linux qui est à la base de 95 % de l’informatique mondiale aujourd’hui. Il y a de vrais succès en open source, comme Firefox, PostgreSQL, etc. qui prouvent bien qu’il y a des alternatives solides au propriétaire. D’ailleurs je pense aussi que les solutions propriétaires se tirent une balle dans le pied avec des licences tellement restrictives qu’elles deviennent des pièges pour les clients. Les utilisateurs ne veulent plus avoir le couteau sous la gorge. Après il y a sûrement des secteurs où les solutions propriétaires sont encore plus performantes que les alternatives open source, mais nous, notre objectif ce n’est pas forcément de trouver la solution idéale, mais celle qui sera la plus optimale par rapport à son coût et nos contraintes.

La MAIF étant une entreprise à mission, cela paraît logique et cohérent que l’open source fasse partie de ses prérogatives ?

Oui en effet, historiquement, le partage des communs, la mutualisation des efforts cela fait partie des textes fondateurs de la MAIF en 1934. Et l’open source étant aussi une philosophie mutualiste cela fait pleinement partie de notre ADN. Ces valeurs nous ont permis d’avoir un encouragement très fort de la part de la direction générale et de la direction informatique pour aller vers l’open source. On a une charte pour un numérique plus éthique qui promeut l’open source en premier mais aussi l’accessibilité, l’inclusion, etc.

Est-ce que l’open source est aussi un levier pour un numérique plus responsable au sein de la MAIF ?

Le numérique responsable est un sujet complexe. Évidemment en tant qu’entreprise à mission, l’écologie fait partie de nos engagements RSE. Sans aucun doute l’open source peut constituer un élément dans une démarche numérique responsable, mais ce n’est qu’un petit composant. Si on se fit aux chiffres1, il faut plutôt s’intéresser à la durabilité des terminaux et à leur surconsommation.

« Ceci étant dit, comme je le disais l’open source est un excellent moyen de produire un code irréprochable, et donc d’intégrer de bonnes pratiques qui permettent de limiter la consommation de mémoire, de CPU, et donc d’énergie. »

C’est un effet collatéral vertueux en fait, mais la question du numérique responsable dépasse largement celle de l’open source. C’est surtout la sensibilisation de chaque développeur qui est importante, et de chaque personne de l’entreprise, dans leurs usages du numérique.

Est-que selon vous, il y a encore beaucoup de freins à l’adoption de logiciels open source dans les entreprises ?

Je ne suis pas forcément optimiste, dans le sens où l’on voit de plus en plus d’entreprises technologiques qui commencent en open source, et qui passent en licences propriétaires ou se font racheter par de gros acteurs quand elles ont du succès. Je trouve qu’il y a un détournement du modèle open source qui va seulement servir à avoir une croissance rapide. D’autres poussent les limites de l’open source avec une version ouverte du logiciel qui ne peut pas être viable pour une entreprise, et derrière ils vendent des licences premium. Je pense qu’il faut se méfier “du tampon open source” qui est parfois galvaudé, mais cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter d’en faire, de l’utiliser, bien au contraire, il faut continuer avec une vraie éthique. Ce qui me rend pessimiste c’est cet “open source washing” de certaines entreprises qui malheureusement ne sert pas la cause.  

Est-ce que le libre est un modèle trop idéaliste et trop complexe pour le monde d’aujourd’hui ?

Oui je pense que le modèle d’origine, celui du logiciel libre vu par Stallman2 n’est plus possible dans le monde de l’entreprise. Pourtant sans les précurseurs du libre, il n’y aurait pas eu l’open source, l’informatique d’aujourd’hui est basée sur le travail de ces gens, il faut en avoir conscience. Ce n’étaient pas que des idéalistes, il y avait un vrai savoir technique derrière le mouvement du libre. Mais le business a pris le dessus, ce qui est dommage à mon avis. L’open source est toutefois une sorte de compromis entre liberté et propriété, et c’est déjà pas mal que cela existe encore.  

Retrouvez cette interview en intégralité dans notre livre blanc « Open Source et Logiciels Libres : perspectives et visions des acteurs de l’Open Source », disponible en ligne et en version papier (via formulaire).

  1. Selon l’ADEME, l’empreinte carbone du numérique provient à 78 % de la fabrication des terminaux.
  2. Dès 1982, Richard Stallman, fondateur de la FSF, pensa la notion de logiciel libre et les possibilités pour les utilisateurs d’utiliser, d’étudier, d’améliorer, de modifier et de redistribuer un code informatique. Les premiers logiciels libres virent alors le jour avec l’envie de partage et de collaboration ; des valeurs philosophiques et politiques d’ouverture pour développer ce secteur.