E-commerce : « l’accessibilité numérique c’est avant tout ne plus discriminer. »

L’accessibilité numérique n’est pas un sujet nouveau, mais il est encore mal connu de tous les acteurs du secteur. Toutefois, il est plus que temps d’accélérer le mouvement, car en juin prochain, les e-commerçants seront dans l’obligation de rendre leur site accessible à toute personne en situation de handicap. Grâce aux éclairages de nos intervenants — Olivier Keul, expert accessibilité Web et co-directeur du service accessibilité chez Temesis, ainsi que Christian Volle et Manuel Pereira, respectivement chargé de mission accessibilité numérique et responsable du pôle accessibilité de l’association Valentin Haüy —nous définirons précisément l’accessibilité numérique, nous expliquerons les enjeux de cette discrimination, les obstacles qui barrent le chemin de l’achat pour les personnes avec un handicap visuel (et pas que), et par quoi commencer pour que son e-commerce soit rapidement accessible.
Après le 28 juin 2025, la directive « Accessibilité » du 17 avril 2019 entrera en vigueur
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite remise en contexte s’impose, car l’accessibilité numérique n’est pas une nouveauté : elle était déjà inscrite dans la loi handicap de 20051 :
L’un des grands objectifs de la loi est de permettre à toutes les personnes handicapées, d’accéder de façon autonome à :
- Des espaces publics ;
- Des transports ;
- Des bâtiments ;
- Des services publics et privés ;
- Des services numériques.
Le principe d’accessibilité est entendu par la loi au sens le plus large, en prenant en compte tous les types de handicap et afin de mettre à la disposition des personnes handicapées des services modernisés et accessibles qui permettent d’effectuer leurs démarches nécessaires.
Dans les faits, peu d’obligations ont vraiment été appliquées, excepté pour les organismes du secteur public, et en 2018 les grandes entreprises du secteur privé (avec un chiffre d’affaires de plus de 250 millions d’euros) ont aussi été concernées.
La réglementation évolue au niveau de l’Union Européenne et la directive Accessibilité adoptée en avril 2019 par le Parlement européen rend obligatoire l’accessibilité de certains produits et services, dont les services de commerce électronique. Fin juin 2025, cette directive sera applicable et les e-commerçants2 devront être en mesure de concevoir et fournir des services conformes aux exigences d’accessibilité. Les obligations concernent tous les services du e- commerce : applications mobiles, courriels clients, création de compte, tout le processus d’achat (commande, validation du panier, paiement, suivi de commande,) mais aussi tout le service après-vente comme les systèmes de réclamations par exemple.3
Les sanctions si les obligations ne sont pas respectées
Malheureusement étant donné que ce type de directive est très peu suivie si elle ne s’accompagne pas de sanctions, le texte prévoit une amende de 7500 euros (jusqu’à 15000 euros en cas de récidive), si la réglementation n’est pas respectée. C’est la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) qui sera l’autorité de contrôle compétente pour le e-commerce.
« Il est fondamental que les autorités de contrôle, en l’occurrence la DGCCRF pour le e-commerce, se mobilisent et appliquent les sanctions, qui, à mon sens, ont une valeur pédagogique. Si je prends le parallèle avec la sécurité routière : si la vitesse est limitée à 130 km/h, qu’il y a des panneaux partout, des campagnes de sensibilisation, mais que vous savez qu’il n’y a pas de contrôle radar, vous allez rouler à 150 km/h sans vous soucier de la règle. Quand les radars automatiques ont été mis en place, l’effet pédagogique a été immédiat, avec une baisse de la vitesse et donc beaucoup moins d’accidents. Donc, oui, il faut bien sûr l’information, la sensibilisation, mais il faut la sanction comptable du non-respect : c’est indispensable à la réussite d’une politique publique sur l’accessibilité numérique. » — Christian Volle, chargé de mission accessibilité numérique au sein de l’association Valentin Haüy
En tant qu’entreprise de services numériques, OpenStudio joue un rôle pour informer ses clients e-commerçants et les aider à respecter cette réglementation sur l’accessibilité numérique. C’est pourquoi nous allons commencer par le commencement et définir exactement ce qu’est l’accessibilité numérique.
Qu’est-ce que l’accessibilité numérique ?
Sur son site, la Fevad donne une définition très claire de l’accessibilité numérique : « fournir des contenus et services numériques, qui peuvent être utilisés par les personnes en situation de handicap sans difficulté et dans toutes leurs fonctionnalités. »4 Cela signifie que tous les services numériques sont censés « être perceptibles, utilisables, compréhensibles et robustes ». Nous y reviendrons en détail un peu plus loin, mais pour donner d’ores et déjà un exemple concret, l’accessibilité passe notamment par des alternatives textuelles pour les images qui délivrent une information. Pour aller plus loin, il existe un référentiel, le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA), qui liste les critères de conformité à l’accessibilité et qui peut être utilisé pour auditer ses services. Outre le fait que son site e- commerce ainsi que tout son écosystème doivent être accessibles, l’enjeu est aussi qu’il le reste dans la durée, ce qui induit de mettre en place des processus de suivi pour garantir cette accessibilité dans le temps, et corriger les anomalies détectées le cas échéant.
Il est également important que les services numériques soient compatibles avec les outils d’assistance :
« Attention, pour qu’une personne en situation de handicap ait une réelle autonomie sur un site e-commerce, il faut évidemment un environnement accessible, mais il faut aussi qu’elle maîtrise les technologies d’assistance, comme les logiciels de grossissement pour les personnes malvoyantes, le lecteur d’écran pour les personnes aveugles. Nous menons d’ailleurs des actions en ce sens au sein de l’association Valentin Haüy pour les former à l’utilisation de ce type d’outils de compensation. » — Christian Volle, chargé de mission accessibilité numérique au sein de l’association Valentin Haüy
Pour mieux comprendre ce que cela implique, Manuel Pereira nous a fait part de son expérience en tant qu’utilisateur non-voyant du numérique :
« Un lecteur d’écran est un logiciel qu’on installe sur un ordinateur ou sur un smartphone et qui va restituer les informations qui sont affichées à l’écran vocalement et en braille pour les gens qui le souhaitent. Et donc, ces informations sont restituées de façon séquentielle. Autrement dit, je n’ai pas la vision globale de mon écran, je ne peux en faire qu’une lecture séquentielle et je ne vais utiliser que mon clavier pour naviguer sur ma page Internet. C’est pour ça qu’il faut que les informations soient correctement structurées, ordonnées et qu’elles soient élaborées de manière explicite pour que les lecteurs d’écran interprètent ces informations-là. » — Manuel Pereira, responsable du pôle accessibilité de l’association Valentin Haüy
Ne plus faire de discrimination
Au-delà de la définition purement technique, comme nous l’a dit Olivier Keul, la première chose à retenir est que l’accessibilité numérique : « c’est avant tout ne plus discriminer les personnes en situation de handicap ». C’est l’essence de cette nouvelle réglementation :
« En tant qu’expert de l’accessibilité, notre rôle est d’expliquer aux personnes qui développent, qui conçoivent, qui réfléchissent à des solutions numériques, qu’il faut qu’ils pensent aux personnes handicapées. Je suis persuadé que les gens ne se lèvent pas le matin en se disant “tiens, si je discriminais une partie de la population”, non, le plus souvent c’est qu’ils n’y pensent même pas ! Je ne crois pas qu’il y ait une intention malhonnête ou malveillante, mais il y a clairement une méconnaissance du sujet. Les personnes discriminent sans le savoir parce qu’elles n’ont pas conscience que des personnes handicapées peuvent utiliser leurs services, qu’une personne aveugle peut l’utiliser, qu’une personne qui a une déficience cognitive peut utiliser le numérique, etc. Mon objectif, c’est déjà qu’il n’y ait plus cette excuse de la méconnaissance et de leur faire découvrir ce sujet-là. Ensuite, une fois qu’on a mis cette petite graine dans la tête, on la fait pousser et on explique comment faire avancer le sujet concrètement. » — Olivier Keul, expert accessibilité Web et co-directeur du service accessibilité chez Temesis
Une opportunité pour faciliter la vie des personnes en situation de handicap
Lorsque le numérique est arrivé, que des services comme les achats en ligne ont été possibles, les personnes en situation de handicap se sont dit que ce progrès allait grandement leur faciliter la vie. Malheureusement, vous vous en doutez, l’espoir fut de courte durée :
« On pensait que l’Internet allait être une opportunité intéressante pour nous, parce qu’il est toujours difficile, quand on ne voit pas du tout ou quand on voit mal, d’aller faire ses courses dans les grandes surfaces, parce qu’il est compliqué de se déplacer, que les agencements sont parfois complexes, que la fréquentation est importante, etc. On pensait donc que l’e-commerce serait beaucoup plus approprié, puisque l’idée de base est de pouvoir faire ses achats tranquillement depuis son domicile, de recevoir à la maison ses articles et ensuite de pouvoir les ranger comme on a envie de les ranger. En termes d’autonomie, c’était censé offrir beaucoup d’avantages, mais nous avons été confrontés à une réalité toute autre, puisqu’aujourd’hui, le nombre de sites e-commerce accessibles est très faible, et que forcément, on est souvent bloqué aux différentes étapes de l’achat. » — Manuel Pereira, responsable du pôle accessibilité de l’association Valentin Haüy
Il faut bien comprendre que pour une personne en situation de handicap (visuelle ou autre), sortir faire ses achats dans une boutique physique s’apparente à un parcours du combattant : des moyens de transport à l’absence de signalisation, en passant par la présence d’obstacles, jusqu’à la recherche de l’article que l’on souhaite dans les rayons, …5 Contre-intuitivement, ces difficultés se retrouvent aussi dans les boutiques en ligne, qui sont au final de véritables labyrinthes, puisque il n’y a aucun panneau pour aller d’étape en étape et trouver la sortie. L’accessibilité numérique peut donc également se définir comme des panneaux de signalisation qui guideront l’utilisateur ou l’utilisatrice à l’endroit où il/elle en aura besoin.6
Un marché dont se prive les e-commerçants
Nous en avons parlé très librement et sans langue de bois avec nos interlocuteurs de l’association Valentin Haüy : en ne faisant pas en sorte de rendre accessibles leurs services, les e- commerçants se privent d’une clientèle et donc d’un chiffre d’affaires supplémentaire. Selon les chiffres de La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), 12 millions de personnes sont en situation de handicap en France.7 Ce qui représente un marché important de consommateurs et consommatrices potentiel(le)s :
« Le e-commerce c’est du business, donc je pense qu’il ne faut pas avoir de tabou par rapport à ça. J’avais discuté avec un grand groupe mondial qui a calculé que le fait de ne pas rendre ses produits accessibles aux personnes handicapées lui faisait perdre entre 1 et 1,5 % de son chiffre d’affaires mondial. Il y a un autre élément qu’il faut prendre en compte : c’est la fidélité des personnes en situation de handicap. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, si elles trouvent un site qui leur est accessible, elles vont rester fidèles à ce site. Je peux vous prendre l’exemple du site Houra.fr qui est très utilisé par les personnes en situation de handicap visuel, parce qu’il est tout simplement l’un des seuls à être utilisable par ces personnes-là aujourd’hui. » — Manuel Pereira, responsable du pôle accessibilité de l’association Valentin Haüy
L’accessibilité n’est donc pas qu’une manière de ne plus discriminer (ce qui reste l’objectif prioritaire) ni qu’une obligation légale, c’est aussi une fenêtre de croissance.
« C’est souvent un avantage qui est oublié, et j’avoue que je ne comprends pas. Quand on est sur un marché aussi concurrentiel que le e-commerce, c’est paradoxal de ne pas prendre en compte le fait que l’accessibilité est aussi synonyme d’un potentiel chiffre d’affaires supplémentaire. C’est quand même assez incompréhensible qu’il n’y ait qu’un site (houra.fr) en France qui permette de faire ses courses sans trop de difficultés pour une personne avec un handicap visuel, et qu’il n’y ait pas une autre marque qui se soit dit, nous aussi, on va le faire, pour avoir d’autres clients. Pour moi, d’un point de vue purement concurrentiel, (je ne parle même pas de la non-discrimination qui devrait être le seul objectif en soi) il est aberrant que ces enseignes ne se saisissent pas de ce sujet-là. » — Olivier Keul, expert accessibilité Web et co-directeur du service accessibilité chez Temesis
Par quoi commencer pour mettre son site en adéquation avec la réglementation ?
Comme nous le confiait Olivier Keul, expert accessibilité chez Temesis, à la suite de l’annonce de l’application de la directive en juin prochain, on constate un « réveil » chez les e-commerçants qui sollicitent des prestataires pour se mettre en conformité avec les critères d’accessibilité. Il y a donc un risque d’embouteillage qui obligera les e-commerçants à prioriser leurs actions.
Intégrer l’accessibilité dans son cahier des charges
Avant de parler des e-commerces existants qui doivent se mettre aux normes, il est nécessaire de faire un aparté pour s’adresser à ceux qui ont le projet d’ouvrir un nouveau e-commerce. Le conseil est simple, prévoyez dès le départ, dans le cahier des charges, d’intégrer les critères d’accessibilité avant de développer votre site.
« Je fais souvent le parallèle avec la construction d’un bâtiment physique, pour qu’on se représente ce que cela signifie de ne pas être prévoyant sur les normes d’accessibilité dès les prémices du projet. Imaginez que vous construisez votre maison, la maison est sortie de terre, elle est toute neuve, la décoration est installée et vous allez emménager, et là vous vous demandez : « Est-ce que ma maison est bien aux normes environnementales, est-ce qu’elle ne va pas trop consommer ? Est-ce que j’ai prévu une largeur de porte suffisante si jamais un fauteuil roulant doit passer ? etc. » C’est un peu tard non ? Vous pouvez évidemment revenir en arrière, défaire ce qui a été fait, mais cela va vous coûter du temps et de l’argent. Pour en revenir au web, c’est pareil, si vous pensez dès le cahier des charges à l’accessibilité, à la protection des données et à l’éco- conception, certes il y aura peut-être un budget supplémentaire à prévoir, mais ce sera beaucoup moins cher que de revenir dessus plus tard. Si les règles sont connues et respectées au départ, que les parties prenantes sont sensibilisées et formées, on gagne du temps sur le contrôle à la fin, qui est un peu plus rapide si en amont le travail a été fait. » — Olivier Keul, expert accessibilité Web et co-directeur du service accessibilité chez Temesis
Se former et s’informer et nommer une personne référente au sein de son entreprise
Nous l’avons déjà évoqué dans cet article, et c’est d’ailleurs l’enjeu de ce texte, il est indéniable que l’accessibilité est un sujet mal connu dans notre société encore très validiste et il faut donc se former et s’informer pour en comprendre les enjeux. Malheureusement, l’accessibilité est souvent vue comme une contrainte supplémentaire, une perte de temps dans les processus de développement, … Pour Olivier Keul, cette perception vient encore une fois du manque de formation sur ce sujet :
« Bien évidemment, si je dis aux développeurs ou aux designers : « continuez à faire comme vous faites d’habitude, et ensuite quelqu’un va venir vous dire si ce que vous avez fait est conforme », il y aura obligatoirement une perte de temps. Comme rien n’aura changé, le site ne sera pas conforme, il faudra faire des tonnes de corrections et la mise en ligne sera retardée, ce qui sera en plus décourageant pour les professionnels qui auront travaillé dessus. En revanche, si les critères d’accessibilité sont connus de ces mêmes professionnels et que des tests sont réalisés à chaque étape, il n’y pas de perte de temps, puisqu’il est pris en compte en amont du projet. C’est pour cela que chez Temesis, on pousse d’abord à la formation, sur chaque corps de métier. » — Olivier Keul, expert accessibilité Web et co-directeur du service accessibilité chez Temesis
Au sein de l’association Valentin Haüy, le constat est similaire, selon Manuel Pereira, « dans les formations aux métiers du web, l’accessibilité n’est quasiment pas enseignée. Notre objectif aussi, c’est d’agir pour former les acteurs du secteur du numérique, mais il est vrai que c’est un travail de longue haleine ».
Dans le cas de structures réduites, il sera peut-être nécessaire de faire appel à un prestataire externe pour mettre aux normes son site e-commerce. Cela ne veut pas dire qu’on peut se passer de formation en interne. Pour suivre le projet au mieux et dans la durée, il est judicieux de nommer un responsable accessibilité qui sera particulièrement sensibilisé à ce sujet.
Faire le choix de prestataire expert du sujet
Transition toute trouvée pour évoquer un troisième point important : le choix du prestataire qui vous accompagnera dans votre démarche de mise en conformité de votre site e-commerce. Comme à chaque fois qu’une réglementation change ou est appliquée, on voit fleurir des « experts » un peu partout qui vendent des audits en voyant un nouveau marché s’ouvrir. Pour ne prendre aucun risque, il est indispensable de faire le choix de prestataires qui ont une vraie expertise. Vous pouvez dans un premier temps demander au prestataire qui a développé votre site (et continue de le maintenir) si ce dernier a la capacité de mettre votre e-commerce aux normes, ou s’il a des partenariats avec des experts en accessibilité reconnus. Il est évidemment primordial d’éviter les « vendeurs de rêve » et de s’adresser à des entreprises de confiance.
« Temesis a signé avec d’autres confrères-consœurs une charte de l’audit de conformité RGAA au sein du CNCPH, le Conseil national consultatif des personnes handicapées. Dans cette charte, il y a 10 points indispensables pour affirmer qu’un audit de conformité sur l’accessibilité est de qualité. C’est une base de bonnes pratiques qui devrait être commune à tout prestataire qui veut réaliser ce type d’audit. » — Olivier Keul, expert accessibilité Web et co-directeur du service accessibilité chez Temesis
Les points de blocage à traiter en priorité
Maintenant que le cadre est posé, rentrons dans les actions concrètes à opérer. Même si rendre son site totalement accessible est évidemment l’objectif à atteindre, au vu des délais, il faut d’abord parer au plus pressé, en déverrouillant rapidement les gros points de blocage sur le parcours d’achat.
« Sur un site e-commerce, la priorité, c’est tout le tunnel de réservation. Donc, plutôt que d’aller se concentrer sur des pages FAQ ou d’autres pages qui ne concernent pas directement l’achat, il faut d’abord travailler sur vos pages produits, sur votre page panier, sur tout votre tunnel de réservation, sur la page paiement, etc. Une fois qu’on aura fait ça, on pourra bien sûr aller travailler sur les autres pages. Puisque le chantier est assez important, il vaut mieux commencer par ce qui fait l’intérêt du site : pouvoir vendre et acheter. » — Olivier Keul, expert accessibilité Web et co-directeur du service accessibilité chez Temesis
Christian Volle rejoint cet avis, et propose au sein de l’association de tester les e-commerces avec un panel d’utilisateurs et utilisatrices en situation de handicap pour pointer les points de blocage à l’achat.
« À la limite, qu’on ne soit pas 100 % conforme par rapport aux recommandations d’accessibilité, on pourrait l’accepter à condition — et la condition est essentielle — que la personne n’ait pas de point de blocage quand elle veut utiliser les sites pour aller faire ses achats. », précise-t-il.
Les bonnes pratiques à adopter pour éviter/corriger ces blocages
La première clé pour un site accessible est de penser une conception UX/UI inclusive qui assure la fluidité du parcours d’achat. Les interfaces simples et compréhensibles par tout le monde sont à privilégier : des contrastes suffisants pour une meilleure lisibilité des textes ; une taille de police ajustable qui ne ruine pas toute la mise en page si on zoome beaucoup, mais aussi éviter d’utiliser uniquement de la couleur pour pointer des informations importantes (pour les daltoniens, c’est un véritable obstacle).
« On comprend que souvent les e-commerçants veulent « un truc qui claque ». Mais « ce qui claque » ne fait pas forcément bon ménage avec l’accessibilité. En partant de ce principe, et en oubliant toutes les règles d’accessibilité sur le graphisme, on empêche les personnes en situation de handicap de venir sur le site. » — Manuel Pereira, responsable du pôle accessibilité de l’association Valentin Haüy
On peut également effectuer un travail sur les attributs avec notamment des descriptions alternatives d’images qui détaillent leur contenu, si celles-ci ont une information importante à délivrer. La clarté doit se retrouver dans l’organisation des données, avec des éléments HTLM bien hiérarchisées pour faciliter leur lecture avec les outils d’assistance.
Il ne faut pas non plus négliger les éléments interactifs comme les boutons, principalement celui qui va mettre le produit dans le panier, qui doivent être utilisables avec un outil d’assistance : lecteur d’écran, clavier, etc. Il en est de même pour les cases à cocher, par exemple.
Enfin, l’étape la plus problématique est celle du paiement. Pour une personne valide, la confiance doit déjà être absolue pour procéder à un paiement sur internet, on peut donc comprendre que les personnes mal voyantes ou non voyantes ont besoin elles aussi de se sentir complètement sécurisées pour valider leur paiement. Mais si les moyens de paiement sont des images non décrites, comment un utilisateur ou une utilisatrice non voyant(e) pourra-t-il/elle savoir qu’il/elle a fait le bon choix ? Toutes les options de paiement doivent donc être extrêmement bien balisées pour garantir une validation de paiement en toute confiance.
Autre point d’attention : les authentifications. Elles sont nécessaires pour des questions de sécurité mais les captchas doivent aussi proposer des alternatives inclusives, comme des tests audios, entre autres.8
Le but de ces bonnes pratiques (la liste n’est pas exhaustive) est d’éviter des expériences malheureuses comme celles de Manuel Pereira, qui nous a raconté à quel point dès l’inscription, il pouvait se retrouver bloqué :
« La création du compte est une première difficulté, puisqu’il faut entrer un certain nombre d’informations et que si ces informations sont incorrectes vous ne pourrez pas aller plus loin. Pourquoi ? Parce que souvent, les champs des formulaires pour saisir vos informations (nom, prénom, adresse, la civilité, etc.) ne sont pas accessibles. Ils ne sont pas accessibles parce que votre aide technique va vous dire que le champ sur lequel vous êtes, est un « champ d’édition » sans plus de précision, donc comment savoir si on n’a pas mis son adresse dans le champ du nom puisqu’on ne sait pas où on est ? Pour l’anecdote, il y a quelque temps, je suis allé sur un site pour commander des croquettes pour chien et j’ai passé environ 40-50 minutes pour faire ma commande. Alors qu’une personne voyante l’aurait fait en 5 minutes. Quand tout est un obstacle, que la perte de temps est trop importante, il est normal que les gens se découragent et laissent tomber sans faire leurs achats. » — Manuel Pereira, responsable du pôle accessibilité de l’association Valentin Haüy
Utiliser des métriques précises
Dernier conseil pour engager une démarche sincère : il est préférable d’utiliser des métriques précises sur l’accessibilité et ne pas se contenter du taux de conformité. Même si ce taux est déjà une base indispensable, l’objectif est d’aller mesurer plus finement votre site pour être sûr qu’il est accessible en fonction des points de blocage que nous avons listés plus haut.
Impression écran – accessibilitenumerique.com
« On peut avoir un taux de conformité très élevé, par exemple, être à 80 % mais avoir laissé 30 points bloquants dans les 20 % qui reste. Il vaut mieux être à 60 % mais avoir zéro point de blocage. Le taux de conformité est une métrique, mais il faut la mettre au regard d’autres métriques avec des audits qui font remonter des impacts utilisateurs classés comme mineurs, majeurs, bloquants pour savoir où corriger en premier lieu. » — Olivier Keul, expert accessibilité Web et co-directeur du service accessibilité chez Temesis
L’accessibilité numérique des e-commerces : ce qu’il faut retenir
Fondamentalement, l’accessibilité numérique est avant tout un engagement sociétal pour arrêter la discrimination envers les personnes en situation de handicap. Elles devraient avoir la possibilité de faire leurs achats sur le web sans obstacle, en autonomie, avec la possibilité de choisir entre plusieurs sites et en toute confiance. Dès le 29 juin prochain l’accessibilité numérique ne sera plus une option pour la plupart des e-commerçants ; il est donc nécessaire d’investir pour rendre son site accessible le plus rapidement possible, en priorisant les points de blocage, et en formant toute la chaîne de professionnels qui contribuent à alimenter les sites, afin que tous les services restent accessibles dans le temps.
Sources :
1. https://www.monparcourshandicap.gouv.fr/glossaire/loi-handicap-2005
2. D’après la directive, les e-commerçants en microentreprises, qui emploient moins de 10 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas deux millions d’euros ou dont le total du bilan n’excède pas deux millions d’euros, ne seront pas concernés par les obligations d’accessibilité.
3. https://www.fevad.com/e-commerce-et-accessibilite-numerique-ce-qui-change-a-partir-de-juin-2025/
4. https://www.fevad.com/e-commerce-et-accessibilite-numerique-ce-qui-change-a-partir-de-juin-2025/
5. https://boscop.fr/accessibilite-e-commerce-actualites/
6. https://www.urbilog.com/blogposts/vers-un-e-commerce-accessible
7. https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-01/Fiche%2018%20-%20Les%20personnes%20en%20situation%20de%20handicap%20et%20leur%20niveau%20de%20vie.pdf
8. https://www.urbilog.com/blogposts/vers-un-e-commerce-accessible
Pour aller plus loin, l’association Valentin Haüy et Temesis proposent de nombreux contenus sur le sujet :
Pour contacter OpenStudio et discuter de votre projet e-commerce : www.openstudio.fr/contact/