Open Source : La success story d'Open Food Facts - Manon Corneille

Publié le 07 juillet 2025
8 minutes de lecture
Portrait de Manon Corneille d'Open Food Fact

Le projet open source Open Food Facts a été lancé en 2012 par Stéphane Gigandet, et depuis le succès ne s’est pas démenti avec aujourd’hui une équipe de 8 personnes qui travaillent sur cette base de données ouverte. Pour mieux comprendre le fonctionnement de cette association engagée dans l’open source, nous avons rencontré Manon Corneille, chargée de partenariat chez Open Food Facts.

Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi consiste le projet open source Open Food Facts ?

Open Food Facts, c’est avant tout une communauté de personnes qui se sont réunies pour construire une base de données sur les produits alimentaires. Cette base est mise à disposition de tous via un site internet, mais surtout grâce à l’application mobile Open Food Facts que chacun peut avoir dans sa poche en la téléchargeant. Elle permet de scanner les codes-barres des produits alimentaires et, en quelques secondes, d’accéder à des informations détaillées : la liste des ingrédients, les tableaux nutritionnels, etc.

L’application propose également une information personnalisée en fonction des préférences diététiques de l’utilisateur. Par exemple, si je suis intolérante au gluten, je peux l’indiquer dans mes paramètres, et lorsque je scanne un produit, Open Food Facts m’indique à quel pourcentage ce produit correspond à mon régime alimentaire. En plus de cela, l’application calcule le Nutri-Score, l’Eco-Score, ainsi que le Score Nova, qui évalue le niveau d’ultra-transformation des produits.

La mission première d’Open Food Facts est donc d’informer les gens sur ce qu’ils consomment en misant sur la transparence des données alimentaires. L’objectif, c’est de remettre l’information entre les mains des consommateurs, de dépasser les opérations marketing souvent trompeuses, et de proposer une information plus objective, plus adaptée aux besoins réels. 

Est-ce qu’une large communauté contribue à Open Food Facts ? 

Aujourd’hui, environ 80 000 personnes ont contribué à Open Food Facts depuis sa création en 2012. Ce sont des utilisateurs qui ont enrichi la base de données, un peu à la manière de ce qui se fait sur Wikipédia. Tout le monde peut participer : on peut ajouter des photos, des noms de produits, ou encore compléter les informations pour améliorer la base de données.

Parmi ces 80 000 contributeurs, tous ne sont pas des bénévoles actifs. On compte une centaine de bénévoles qui s’investissent régulièrement, notamment sur des missions liées au développement, à la communication ou aux partenariats. L’organisation se fait en petites équipes, réparties par compétences, et nous organisons des réunions régulières avec nos bénévoles.

Le projet open source Open Food Facts a été lancé en 2012 par Stéphane Gigandet, et depuis le succès ne s’est pas démenti avec aujourd’hui une équipe de 8 personnes qui travaillent sur cette base de données ouverte. Pour mieux comprendre le fonctionnement de cette association engagée dans l’open source, nous avons rencontré Manon Corneille, chargée de partenariat chez Open Food Facts. 

Open Food Facts ne se limite pas au territoire français…

Open Food Facts est né en France, mais le projet dépasse largement les frontières nationales. Il est aujourd’hui disponible dans plus de 40 langues et accessible dans plus de 180 pays à travers le monde.

Dans une quinzaine de pays, on compte même des bases de données locales avec plus de 50 000 produits chacune, ce qui constitue un volume significatif et encourage les consommateurs à consulter régulièrement l’application.

Au total, sur la base mondiale, près de 4 millions de produits sont référencés, ce qui permet à chacun, partout dans le monde, d’accéder à des informations alimentaires fiables et détaillées.

Comment Open Food Facts finance son développement ? 

Open Food Fact a une ligne rouge très claire : ne pas se faire financer par les acteurs de l’agroalimentaire. Cela nous oblige à trouver d’autres sources de financement pour garantir notre indépendance et notre mission.

Nous avons ainsi plusieurs canaux de financement. Le premier provient d’institutions publiques, comme Santé Publique France, la direction interministérielle du numérique ou l’ADEME, pour ce qui concerne la France. Ensuite, nous bénéficions de soutiens de fondations privées, majoritairement issues du secteur de la tech, et non de l’agroalimentaire. Parmi elles, nous avons reçu un financement important de Google.org il y a quelques années, ainsi qu’un soutien historique de la fondation Mozilla. Plus récemment, la fondation AFNIC nous a également soutenus. Nous participons aussi à de nombreux projets européens pour diversifier nos financements, avec des programmes comme NGI, auxquels nous candidatons régulièrement.

Enfin, une autre source que nous cherchons à développer est celle des dons. Nous organisons chaque année une campagne de dons afin de mobiliser notre communauté et de récolter des fonds pour faire vivre le projet.

Pour insister un peu sur le dispositif européen NGI porté par la fondation NLnet, très populaire dans la communauté open source, quel a été son impact sur votre projet ?  

NGI est un programme que nous apprécions particulièrement, car cela fait plusieurs années qu’il nous soutient. Depuis six ans, nous avons été lauréats de cinq projets, ce qui nous a permis de collecter un total de 350 000 euros — soit en moyenne environ 60 000 euros par an. C’est un soutien important. Je ne dirais pas qu’il est primordial, mais il joue un rôle essentiel dans la stabilisation de l’association.

Le grand intérêt d’un programme comme NGI, c’est qu’il nous offre les moyens de financer des projets qui ne sont pas forcément les plus visibles ou les plus « sexy » sur le plan technologique, mais qui sont fondamentaux sur le plan technique. Par exemple, nous avons récemment pu financer, grâce à ce programme, la refonte complète de la documentation de notre API — un travail crucial, mais difficile à faire financer autrement que par des acteurs comme NLnet.

L’une des nouveautés majeures à venir sur Open Food Facts en 2025 sera aussi rendue possible grâce au soutien de NGI Search : la refonte complète du système de recherche. Cela nous permettra d’ajouter de nombreux critères, d’intégrer des filtres, et de jouer avec des indices comme le Nutri-Score ou l’Eco-Score, pour offrir une recherche personnalisée et plus puissante. Les utilisateurs pourront ainsi exploiter la base de données de façon beaucoup plus fine et pertinente.

C’est pourquoi nous espérons vivement que le fonds NGI pourra continuer à exister dans les années à venir. Plus d’une centaine de projets open source comptent dessus également. Sa pérennité est donc vraiment importante pour l’écosystème.

Sans ce type de financement public, est-ce que les projets open source pourraient survivre ?

Je ne dirais pas qu’il y a un danger immédiat pour l’association Open Food Facts, car c’est un projet qui a du sens, qui est utile à la communauté, et qui touche un grand nombre de personnes. Je suis convaincue qu’en cas de difficultés, on trouverait des solutions pour compenser un éventuel manque de financements de la part des institutions publiques. Mais ces soutiens restent très importants : ils nous rassurent, ils permettent de pérenniser l’association, et ils nous évitent aussi de nous sentir isolés.

C’est surtout essentiel pour l’ensemble de l’écosystème du libre. Il faut donner de la voix à ces projets, souvent peu visibles, alors qu’ils ont un impact réel. Quand on voit les moyens dont disposent les GAFAM, espérer ne serait-ce qu’un centième de ces ressources, ce n’est pas trop demander. La disparition de fonds comme NGI enverrait un mauvais signal de la part de l’Europe qui affiche une volonté de souveraineté numérique.

Je voudrais aussi insister sur un autre point fondamental concernant NGI : c’est la simplicité de montage des dossiers et la rapidité de mise en œuvre. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles nous nous tournons vers ce type de fonds. Certains dossiers peuvent être montés en quelques jours seulement. Bien sûr, il faut toujours présenter un projet solide et pertinent, mais sur le plan administratif, c’est bien plus léger que les autres financements européens. C’est un avantage non seulement pour nous, les porteurs de projet, mais probablement aussi pour les jurys, qui apprécient ces procédures simplifiées. Même le reporting est allégé, ce qui rend le processus globalement plus fluide et accessible.

Pour revenir à Open Food Facts, quels sont les projets imminents de développement ? 

En parallèle d’Open Food Facts, nous travaillons actuellement sur un projet complémentaire : Open Products Facts, une base de données dédiée à tous les produits non alimentaires du quotidien. L’idée est de référencer des objets aussi variés qu’une table, une lampe, une baignoire — en somme, tout ce que l’on achète en dehors de l’alimentaire.

Cette base donnera un accès à des informations utiles sur ces produits : calcul de scores comme l’indice de réparabilité, stockage de manuels d’utilisation ou de réparation (par exemple pour un micro-ondes), et informations sur leur fin de vie. Si un produit ne fonctionne plus, on pourra se demander : est-ce que je le jette ? Est-ce qu’il existe une entreprise près de chez moi qui peut le reconditionner, le réparer, ou est-ce que je peux le donner ? L’objectif est de répondre à toutes ces questions en lien avec la circularité, et de continuer à éduquer les consommateurs pour les aider à adopter des comportements plus responsables.

Nous avons également lancé Open Beauty Facts, une base dédiée aux produits cosmétiques : crèmes solaires, rouges à lèvres, produits de beauté en tout genre. L’idée est d’apporter plus de transparence dans ce domaine aussi, car dans un supermarché, on ne fait pas que manger, on achète toutes sortes de produits — et il est tout aussi important d’avoir des informations fiables sur ce que l’on met sur sa peau.

On imagine que pour traiter toutes ces données, l’IA fait partie des axes d’innovation ?

Oui, tout à fait, l’intelligence artificielle est un axe d’innovation central chez Open Food Facts. C’est un sujet qui nous tient particulièrement à cœur, à tel point que nous avons recruté, il y a deux ans, un ingénieur machine learning à temps plein. Depuis, de nombreux outils ont été mis en place pour enrichir notre base de données grâce à l’IA.

Par exemple, nous utilisons la reconnaissance d’images pour interpréter automatiquement les listes d’ingrédients présentes sur les emballages. Nous sommes également capables aujourd’hui d’analyser les tableaux nutritionnels à partir de photos, et de comparer les valeurs extraites automatiquement avec celles saisies manuellement par les contributeurs. Ce croisement est essentiel pour garantir la qualité et la fiabilité des données.

L’IA nous permet aussi de générer des prédictions : elle peut reconnaître la forme d’un produit et proposer, par exemple, « cela ressemble à une boîte de thé ». Le contributeur peut ensuite valider ou corriger cette proposition. Ce système fonctionne aussi sur la détection automatique des catégories, des labels, des marques, etc. Nous avons fait des progrès significatifs, avec des centaines de milliers de prédictions générées et vérifiées. Mais ce qui est fondamental, c’est que nous n’utilisons pas l’IA pour l’IA. Notre approche, c’est l’alliance entre l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine. Chaque prédiction doit être validée ou invalidée par un humain. C’est cette collaboration qui permet d’avancer efficacement.

Grâce à ces outils, ce sont des centaines de milliers d’heures de travail qui sont accélérées. Ce n’est pas un processus automatisé brut, mais un vrai levier pour gagner du temps tout en préservant la qualité des données, et en valorisant le rôle essentiel de notre communauté de bénévoles.

La communication n’est pas toujours la grande force de l’écosystème open source, face au marketing des GAFAM et des solutions propriétaires, comment faites-vous pour montrer que votre solution est performante ? 

Oui, c’est vrai que la communication n’est pas toujours le point fort des projets open source. Mais chez Open Food Facts, on fait vraiment de notre mieux. Depuis trois ans, Gala, qui est à la fois animatrice de communauté et responsable de la communication, a rejoint l’équipe. Elle œuvre chaque jour pour mettre en lumière nos projets et valoriser les contributions de la communauté.

Nous disposons de plusieurs canaux de communication : un blog, un forum sur lequel notre communauté échange activement, ainsi qu’un Slack qui regroupe plus de 12 000 personnes. Nous sommes également présents sur les réseaux sociaux classiques : Facebook, LinkedIn, Instagram… où nous nous efforçons de partager régulièrement des success stories et les avancées du projet.

Il est vrai que la communication peut être un point faible dans l’univers open source, mais nous avons fait de gros efforts en ce sens. Notamment, il y a trois ans, nous avons refondu entièrement l’identité graphique d’Open Food Facts. Cette nouvelle identité a véritablement dynamisé la communauté, et nous a permis de mieux valoriser notre travail.

Donc oui, on y prête attention autant que possible, car une bonne communication est essentielle pour fédérer et faire rayonner un projet comme le nôtre.

Pour aller plus loin sur le sujet de l’open source : Open Source et Logiciels Libres : perspectives et visions des acteurs de l’Open Source