IA & Industrie 4.0 : Réduire sa facture énergétique avec la plateforme IIoT de Braincube

Publié le 18 novembre 2021
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PDG de l’entreprise issoirienne Braincube, spécialisée dans le développement de solutions pour l’industrie de demain, Laurent Laporte nous a expliqué en détails le fonctionnement de la plateforme IIOT déployée par sa société. Cette solution innovante intégrant des technologies d’IA, permet aux industriels de réduire leurs coûts de production et de diminuer fortement leur facture énergétique.

Quelles sont les raisons qui vous ont poussées à vous intéresser à l’industrie 4.0 ?

Nous sommes trois co-fondateurs : Hélène Olphe-Galliard, Sylvain Rubat du Mérac et moi-même. Avant qu’Hélène nous rejoigne, je travaillais depuis deux ans avec Sylvain sur une création d’entreprise. Nous avions tous les deux, à côté, des postes à responsabilité : je dirigeais des équipes de production tandis que lui était chargé d’équipes de support en supply chain, achats ou encore en qualité, dans les usines. Nous sommes tous les trois issus du monde industriel, nos idées ont émergé en 2005 autour de la nécessité de créer de nouveaux outils informatiques pour le monde de l’industrie, encore éloignée à ce moment-là de la “transformation digitale”. Diverses problématiques à résoudre se présentaient, nous avions choisi de mettre au point des solutions autour de la maîtrise de l’approvisionnement et du processus pour fabriquer le bon produit, le moins cher et le plus rapidement possible en maîtrisant les coûts. 

Quelles sont les spécificités et cas d’usages de votre plateforme IIoT  ? 

Notre objectif, à travers notre plateforme IIoT, est de garantir en permanence les meilleures conditions de réglages des équipements pour une production rapide et de qualité tout en réduisant les coûts. Comme c’est le cas pour une voiture, nous ne nous positionnons pas comme le réparateur mais plutôt comme l’aide au conducteur. Aujourd’hui, le conducteur a besoin d’être aidé autant pour réguler sa vitesse que pour s’orienter avec le GPS. Notre but est de remplacer l’Homme par des outils d’intelligence artificielle dès lors que la situation devient complexe pour lui et ne lui permet plus de trouver l’optimum. Ces nouveaux outils vont alors piloter de plus en plus automatiquement ses moyens de production. Pour cela, l’opérateur doit avoir accès à une plateforme IoT industrielle, c’est-à-dire une architecture informatique dédiée à la collecte des données issues des machines. Après avoir récupéré toutes les données, la seconde fonction de notre plateforme consiste à transformer celles-ci, grâce à l’intelligence artificielle, afin de les valoriser. La troisième fonction est de mettre ces données à disposition des utilisateurs, soit à travers des applications, soit à travers des outils qui leur permettent de développer les applications qu’ils souhaiteraient avoir. 

Les cas d’usages de notre plateforme tournent autour du mieux produire. Premièrement, elle permet d’avoir un produit sans défaut, sans taux de rejet, donc sans gaspillage de matière. Deuxièmement, on souhaite qu’elle nous aide à optimiser la vitesse de production car si une entreprise est en capacité de produire davantage de produits, elle va augmenter son rendement et ses coûts vont chuter. En fabriquant 1200 produits au lieu de 1000 par exemple, ceux-ci vont être moins chers et l’entreprise va pouvoir rentabiliser ses équipements. La troisième utilisation de la plateforme se concentre autour de l’énergie qui est toujours utilisée pour transformer le produit, le chauffer, le refroidir, faire fonctionner la mécanique etc. Si l’usine est capable de réduire sa consommation d’énergie par produit, ça lui coûtera moins cher en plus de créer un impact positif sur l’environnement. Ensuite, la plateforme vise à réduire tous les consommables utilisés dans la production des produits comme les additifs, les polymères ou autres. À la place, l’entreprise pourra améliorer l’intégration de matière recyclée par exemple. Enfin, la plateforme doit être un moyen d’éviter l’utilisation de produits générant des rejets ou des déchets solides, liquides et de gaz à effet de serre. 

« Notre but est de remplacer l’Homme par des outils d’intelligence artificielle dès lors que la situation devient complexe pour lui et ne lui permet plus de trouver l’optimum. »

Il y a toujours des réglages que l’usine peut optimiser pour intrinsèquement faire en sorte que le process génère moins de défauts en produisant les mêmes quantités. Une papeterie peut générer moins de déchets dans l’eau en fabriquant autant de papier. 

En résumé, les données récoltées par la plateforme vont nous permettre de travailler sur cinq domaines : la qualité du produit, la productivité des machines, l’énergie consommée dans le processus, la capacité à utiliser le minimum de matière ou les matières les moins chères et les plus recyclées et enfin le fait d’avoir le moins d’impact polluant possible. C’est sur ces sujets que Braincube a un impact positif sur la planète. En proposant ce genre de plateforme, nous parvenons à réduire les fortes consommations énergétiques de nos clients comme dans le secteur de la métallurgie qui doit 85 % de ses coûts à l’électricité. 

Pouvez-vous nous expliquer votre démarche pour récupérer les données de vos clients avant de les optimiser ? 

Globalement, sur le marché industriel, nous constatons un manque de génération de données de la part des petites et grandes sociétés. Très peu récupèrent ou sont en capacité de récupérer l’ensemble de leurs données. Il manque parfois des cartes de communication et de réseau, des automates, des capteurs IoT etc. Nous aidons alors le reste de l’industrie à se transformer, non pas en vendant directement nos solutions chez eux mais en les vendant indirectement. Par exemple, nous traitons avec des sociétés qui vendent leur propre matériel générant de la donnée, comme des capteurs ou du réseau. C’est-à-dire qu’en plus de fournir leur matériel à des PME, ETI ou grandes entreprises, elles vont leur proposer nos solutions embarquées type edge et notre plateforme IIoT. 

L’edge, installé localement sur des machines, permet de traiter directement, dans un temps restreint, les données générées et remonte uniquement les informations pertinentes sur la plateforme. On utilise par exemple l’edge pour des alertes intelligentes, des prédictions, recommandations, de la visualisation. L’edge correspond typiquement au fonctionnement d’un GPS dans une voiture lorsque l’application se met à afficher les informations en instantané ainsi que les directions à prendre. 

Nous avons créé une box pour PME avec Siemens : la Siemens Braincube Edge Factory Box, qui contient notamment notre solution Edge, accessible pour quelques milliers d’euros. La box comprend deux prises : une pour internet qui se connecte uniquement au cloud et à l’App Store Braincube et une autre pour se brancher au réseau industriel du client. L’entreprise télécharge alors les connecteurs edge dont elle a besoin pour créer le flux de données puis utilise notre plateforme edge pour visualiser celles-ci. Il existe aussi des applications supplémentaires comme du cloud que l’on peut intégrer à la plateforme. 

Ce sont les entreprises qui vous contactent directement car elles veulent évoluer sur les sujets liés à la transition écologique ? 

Non, c’est nous qui sommes à l’origine de l’activité de prospection. Cela nous conduit à démarcher certains grands groupes avec lesquels nous souhaitons travailler pour des utilisations optimums de nos solutions. Je pense par exemple aux secteurs de la construction, de la métallurgie, du papier, du ciment mais aussi de la production de pneus, de la chimie, du verre ou encore de l’agroalimentaire. Ces secteurs sont fortement automatisés, génèrent beaucoup de données mais ne les exploitent pas encore très bien. Certains ont des besoins spécifiques lorsqu’il s’agit de travailler avec nous, cela peut concerner leurs problèmes de pollution, de coûts, de production ou encore de qualité. Nous engageons une collaboration autour de leurs premiers besoins, sans les effrayer avec des projets impressionnants autour de l’utilisation de leurs données. Une fois que nous avons établi une relation de confiance avec le client, nous élargissons les usages liés à ses données. 

Pouvez-vous me raconter un cas d’usage client qui vous a marqué ?

En 2008, nous avons travaillé avec la plus grande papeterie française Norske Skog Golbey, ils avaient un problème endémique depuis 1995 avec leur papier journal, très fin, fabriqué sur 10 mètres de large à 120 km/h. De temps en temps, ce papier cassait sur la ligne de production de 150 mètres de long, ce qui impliquait de la redémarrer souvent, entraînant une perte de temps et donc de rendement. Grâce à l’analyse de trois ans de données historiques, nous avons découvert qu’ils ne procédaient pas de la bonne façon et qu’il y avait d’autres choses à mettre en place, mais qu’ils ne considéraient pas comme prioritaires. Ils utilisaient deux pâtes à papier dont une neuve à partir de bois, c’est celle-ci qui venait causer les casses à cause de ses composants collants. L’autre était un papier recyclé de moins bonne qualité, avec une fibre moins noble. Pour y remédier, nous les avons aidé à maîtriser des paramètres de vieillissement, de température des produits de blanchiment et ainsi réduire les casses. Nous avons immédiatement divisé par sept le phénomène de casse. Ce résultat a été le point de bascule de ce site les années qui suivirent notre collaboration. Ils se sont lancés dans la recherche durant trois ans avec un laboratoire et ont fini par découvrir que notre solution avait en fait permis de réduire un développement bactérien, à l’origine de la casse, dans la pâte à papier utilisée. Nous leur avons donc fait gagner trois années avant qu’eux-mêmes ne comprennent le problème, cela les a incité à installer un système de production basé sur l’analyse de données en formant l’ensemble des ingénieurs. Ils ont pris tous les problèmes les uns après les autres comme la nécessité d’intégrer davantage de papier recyclé, de rejeter moins de matières…et les ont traités systématiquement en divisant l’usine en quatre afin de procéder, tous les ans, à un test sur un quart d’usine pendant trois mois. À chaque fois, ils trouvaient des choses sur lesquelles s’améliorer pour mieux produire, grâce notamment à nos outils edge que nous avons installés par la suite pour afficher toutes les consignes de production critiques. Leur site a fini par exploser en termes de rendement, ils ont réduit leurs coûts, la qualité de leurs produits a nettement progressé. 

Pour quelles raisons proposez-vous votre plateforme dans un cloud ? 

Le cloud est une architecture élastique qui a pour vocation de stocker une grande quantité d’informations, à contrario du edge qui optimise le flux de données. Autrement dit, l’architecture edge gère immédiatement des données, là où un cloud sert à réfléchir dessus en utilisant le big dataAvec le cloud, nous pouvons faire du learning, de l’apprentissage. Si l’on reprend mon analogie avec le GPS d’une voiture, le téléphone exécute le trajet que lui a confié le cloud et va s’adapter parfois au cas où l’on rate une route. Le cloud va utiliser l’ensemble des trajets stockés pour optimiser votre trajet. 

Nous offrons une infrastructure cloud en SaaS (Software as a service) ou IaaS (Infrastructure as a service) avec des partenaires comme Microsoft Azure. 

Le cloud, infrastructure big data, permet le traitement des données avec de l’intelligence artificielle. À quel niveau de développement de l’IA êtes-vous ? 

Depuis les débuts de la société, nous intégrons du machine learning dans nos applications. Nous sommes acteurs des systèmes apprenants et de l’IA depuis longtemps. La recommandation nous passionne particulièrement, afin de donner des indications de process par exemple. Dans mon analogie du GPS, nous nous rendons compte que cet outil fournit deux informations : une idée du temps qu’il vous reste, c’est la prédiction, mais aussi une instruction pour tourner à tel moment, c’est de la recommandation.

« Les outils basés sur du machine learning peuvent indiquer au bon moment qu’il faut baisser une température avant de fabriquer avec des défauts. »

Cela fait désormais 12 ans que nous nous perfectionnons dans la recommandation à partir de l’analyse des données historiques de nos clients. Grâce aux solutions Braincube par exemple, un laboratoire rattaché à une usine peut faire de la prédiction puis recommandation en temps réel, comme le fait un GPS, sur la qualité d’un produit. L’usine peut donc désormais réagir pour optimiser sa production : les outils basés sur du machine learning peuvent indiquer au bon moment qu’il faut baisser une température avant de fabriquer avec des défauts. 

La vocation de Braincube est de fournir des outils avec quantité de technologies embarquées qui soient utilisables par les opérateurs du site de production même sans data scientists sur un site. L’opérateur de production n’a pas le temps de faire des analyse poussées alors nous développons des applications qui font de l’auto machine learning où il suffit d’annoncer une variable à modifier pour que nos solutions calculent par elles-mêmes des résultats potentiels, reviennent avec des scoring en proposant des modèles d’optimisation.

L’IA combinée au cloud permet de faire éclore des jumeaux numériques. Quelle stratégie avez-vous adopté à ce sujet ? 

Comme nous sommes passionnés par la maîtrise du processus pour fabriquer des produits, nous avons mis en place un jumeau numérique particulier pour chaque produit fabriqué. Ce jumeau numérique est conçu à partir de l’ensemble des données récoltées dans le cloud, via les capteurs sur le produit, puis traitées avec des algorithmes de machine learning. Nous pouvons suivre tout l’arbre généalogique de fabrication du produit automatiquement et nous allons chercher les conditions de fabrication de chacun des sous-ensembles. De cette façon, nous capturons la variabilité du processus au niveau du produit et non pas de la chaîne de fabrication. Nous créons une base de données d’apprentissage parfaite car nous nettoyons plein d’erreurs. 

Les jumeaux numériques sont des outils qui nous permettent d’évoluer au plus vite. Avant, les opérateurs devaient prévoir des essais durant la phase de production afin de procéder à des réajustements si besoin. Aujourd’hui, ces essais sont réalisés virtuellement, ce qui permet de gagner un temps considérable. Il existe une quantité importante d’applications d’un jumeau numérique. Certains en font pour une machine, d’autres pour une ligne de production…je pense que nous sommes les seuls à le dédier au produit. 

« Nous pouvons suivre tout l’arbre généalogique de fabrication du produit automatiquement et nous allons chercher les conditions de fabrication de chacun des sous-ensembles. »

Nos jumeaux numériques sont installés dans un cloud car il faut les stocker et cela nécessite d’importants calculs. Parfois, il faut rattacher des données de plusieurs mois d’écarts, on doit rassembler toutes les informations récupérables pour comprendre chaque élément constitutif du produit. Le cloud nous aide bien car il nous permet d’utiliser massivement l’historique pour constituer ce jumeau numérique. 

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez afin d’améliorer vos solutions IIoT ?

Tant que nous n’avons pas que des retours positifs sur nos applications, en termes de facilité, de prise en main ou d’efficacité, de rapidité d’exécution, nous les perfectionnons. C’est sur ces sujets que nous monitorons nos développements. Certains environnements industriels vont trouver tous ces points parfaitement réalisés, là où d’autres auront encore des difficultés. Parfois, des usines auront une quantité de données faible tandis que d’autres seront presque au maximum. Il faut alors que nous nous améliorions sur l’infrastructure de l’application pour que le volume de données soit le moins pénalisant possible sur la vitesse de traitement.

Nous cherchons à verticaliser et spécialiser certaines de nos applications avec nos partenaires afin de gagner en simplicité, avec un vocabulaire métier adapté au cas par cas. Certaines entreprises comme Engie par exemple ont développé des applications spécialisées “énergie” pour Braincube à destination des utilitaires avec l’intégration et l’adoption des codes métiers. 

Nous aimerions également développer des outils utilisables par les clients en mode “Do It Yourself”. Ces derniers pourraient déployer eux-mêmes en interne nos outils. On serait alors un “fournisseur d’outils” avec plein d’intégrateurs déjà prêts.

Comment aidez-vous les PME à se lancer à leur tour dans des projets industrie 4.0 ?

Nous avons créé le consortium d’entreprise “Go To Smart Factory”, aux côtés de Siemens, l’école des Mines de Saint-Étienne, Zebra ou encore Chamatex, pour adresser le marché de la transformation digitale des PME. Des formations, labellisées par le Campus du numérique de la région Auvergne-Rhône-Alpes, sont possibles sur prise de rendez-vous à Lyon. Une PME peut discuter de son projet et les sociétés les plus à même de lui répondre seront présentes. En plus de cette aide, la PME va pouvoir faire des prototypes locaux, créer des évènements pour discuter avec ses pairs etc.

Retrouvez cette interview dans notre livre « Intelligence Artificielle : La Révolution de l’Industrie 4.0 » disponible en version numérique et papier.