L'Intelligence artificielle peut-elle aider à préserver les écosystèmes ?

Publié le 28 décembre 2020
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Forêt luxuriante Image de Luca Bravo sur Unsplash

Réchauffement climatique, incendie, pollution des eaux, braconnage, surpêche, pesticides, déforestation… ont des conséquences catastrophiques sur la biodiversité. Le dernier rapport de l’ONU établit qu’environ 1 million d’espèces animales et végétales sont maintenant menacées d’extinction. Cependant, ce rapport montre aussi que la situation est encore réversible si des actions à la fois locales et mondiales se mettent en place dès à présent pour préserver et restaurer la nature. Seule une volonté politique peut garantir la préservation de notre environnement.

Dans un précédent article, nous évoquions la nécessité de converger vers un numérique plus responsable dans lequel la question de l’utilité est posée préalablement à toute solution technologique. Dans ce sens l’IA est une technologie qui soulève des problèmes environnementaux et qui devra donc effectuer sa transition écologique. Toutefois, l’IA facilite la modélisation des écosystèmes et offre ainsi une aide potentielle dans la préservation de notre environnement.

Lutter contre l’appauvrissement de l’écosystème marin

Devant l’urgence de la menace qui pèse sur la biodiversité et la masse de travail qui s’annonce pour réparer les ravages de l’Homme sur la nature, des technologies avancées semblent indispensables pour mettre un coup d’accélérateur et enclencher des actions concrètes. L’IA est déjà utilisée pour faciliter la protection de notre écosystème, notamment à travers des initiatives comme AI FOR EARTH créée par Microsoft. Microsoft délivre des subventions et met également à disposition sa technologie d’IA pour soutenir des projets en faveur de l’environnement. Parmi les actions portées par Microsoft, on trouve notamment la surveillance de la baie de Chesapeake aux Etats-Unis. Grâce à l’analyse d’images, rendue possible par l’IA, la zone est maintenant cartographiée bien plus précisément qu’auparavant ce qui facilite la surveillance de la baie et de sa biodiversité riche mais précaire.

Plus largement, Microsoft s’est également associé à l’organisation de protection de l’environnement The Nature Conservancy pour repérer géographiquement toutes les espèces océaniques en utilisant l’IA. Le but est de créer des modèles d’aide à la décision afin de déterminer quelles sont les zones qui pourront être exploitées par l’Homme (pêche, récolte de fruits de mer, tourisme….) sans mettre en péril l’écosystème sous-marin. Une solution pour préserver la vie marine tout en prenant en compte l’économie liée aux océans.

L’IA aide à cartographier les espèces animales – Image de Wexor Tmg sur Unsplash

De nombreux projets liant l’IA à la protection des océans ont vu le jour. L’un des plus marquants reste le projet Soft Robotic Fish, un poisson-robot capable d’observer discrètement les animaux marins sans les perturber dans leurs habitudes. Une manière pour les scientifiques de récolter des informations sur les conséquences de la pollution des océans sur les poissons dans le respect de leur environnement. D’autres initiatives tentent de lutter directement contre la pollution responsable de l’appauvrissement de la biodiversité des océans. Premier exemple avec le projet The Ocean Cleanup qui fait appel à la robotique pour nettoyer massivement les eaux. Des robots autonomes de plus de 600 m de long, commandés par IA, sont chargés de repêcher jusqu’à 5 tonnes de plastiques par mois, des déchets qui devraient ensuite être recyclés. Une autre action visant à dépolluer les eaux, a été lancée par ellipsis.earth qui se sert de drones pour retrouver les plastiques dans l’eau. La détection des plastiques est réalisée grâce à l’IA.

Les cas d’usages de l’IA en faveur de la protection de l’environnement sous-marin se multiplient : cartographie des fonds sous-marins pour la protection des coraux, surveillance des espèces envahissantes menaçant l’équilibre de la biodiversité, ou encore contrôle de la surpêche, l’IA semble être un outil formidable pour analyser des données en temps réel qui permettront des interventions rapides et ciblées.

Sauvegarder la faune et la flore dans les terres

La biodiversité des fonds marins est fragile mais la situation sur la terre ferme n’est pas meilleure. Animaux et végétaux sont également menacés.

À l’image de ce qui est fait pour cartographier les espèces marines, l’IA est aussi utilisée pour surveiller la biodiversité terrestre. Dans cet esprit, on peut citer le partenariat de l’entreprise SAS avec l’ONG NatureServe. SAS a mis à disposition sa technologie d’IA pour aider l’organisation à identifier rapidement les espèces en voie de disparition. Ce gain de temps va permettre à NatureServe de mettre à jour plus régulièrement sa base de données à moindre coût et surtout prendre les mesures qui s’imposent pour sauvegarder animaux et végétaux en danger.

Plus étonnant, l’IA se révèle être une arme de lutte contre le braconnage. L’Université de Californie du Sud a monté un projet en ce sens, intitulé « Protection Assistant for Wildlife Security » (PAWS) qui se sert de l’IA pour prédire où et quand les braconniers risquent de frapper à l’avenir. En se basant sur des données concernant la criminalité, le comportement des braconniers et les patrouilles passées des rangers, l’algorithme pourra donner des indications très précises afin d’interpeller les braconniers et éviter l’extinction des espèces protégées.

Sauvegarder la biodiversité, c’est aussi rendre à la nature des espaces détériorés par la main de l’homme puis laissés à l’abandon. Dans le Massachussets, aux Etats-Unis, une zone détruite par la production de canneberges a été réhabilitée pour faire revenir la biodiversité. Pour savoir de quelle manière la nature reprenait ses droits, les chercheurs du MIT Media Lab ont disposé des micros afin d’écouter les interactions entre les espèces et savoir si les actions menées pour restaurer les lieux avaient été efficaces. Après 4 ans d’écoute, l’équipe spécialisée en bioaccoustique se retrouve avec des milliers d’heures de son à traiter. Un travail de titan qui prendrait un temps infini sans le concours de l’IA. En effet, pour traiter une telle masse d’informations, l’IA s’est vite imposée comme étant la méthode la plus adaptée pour obtenir des résultats rapides et fiables.

« Dans un premier temps on veut en effet mesurer à quel point la vie est revenue sur le site. C’est le premier site en restauration qui est analysé de cette manière à ma connaissance, et l’objectif est de comprendre quel a été l’impact de la restauration de la zone sur la biodiversité. Le but est d’avoir un exemple, pour savoir si sur les prochains sites qui seront restaurés, il faudra refaire pareil ou trouver d’autres solutions pour que la vie revienne plus vite et multiplier le nombre d’espèces.

Le deuxième objectif est de faire de l’écoacoustique. Grâce à toutes ces années d’écoute, on obtient des données écologiques, c’est-à-dire des interactions entre le vivant et son habitat. En dehors de la restauration, on peut essayer de comprendre ce qu’il se passe dans la nature en cas d’augmentation de la température de la planète par exemple. Avec des paramètres liés aux changements climatiques, on va tenter de déterminer de quelle manière les espèces vont s’adapter ou pas et ce qui les met en danger. L’intelligence artificielle va nous aider, entre autres, à analyser l’audio pour compter et classer automatiquement le nombre d’espèces sur un site…C’est un énorme gain de temps. »

Félix Michaud, doctorant à Sorbonne Université, a travaillé avec les équipes du MIT Media Lab

Éviter la surconsommation d’eau et de pesticides

tracteur sur un champ - Image de Randy Fath sur Unsplash
Image de Randy Fath sur Unsplash

L’IA aide les agriculteurs à optimiser la consommation d’eau pour l’irrigation des cultures et l’utilisation des pesticides en exploitant des données météorologiques.

Aujourd’hui, des entreprises comme ITK proposent des solutions d’aide à la décision avec des modèles basés sur l’IA, sans avoir besoin de capteurs dans les champs. Une autre manière pour l’agriculteur de gérer son exploitation de manière durable et responsable, une solution à la fois écologique et économique.

« Chez ITK, nous sommes des intégrateurs de toute cette connaissance. Nous avons mis ces équations derrière des logiciels qui permettent à l’agriculteur de s’adapter à chaque situation. Par exemple, l’algorithme va pouvoir lui dire qu’il n’y a pas de pression maladie et que ce n’est pas la peine de faire un traitement pesticide. Pour l’irrigation c’est pareil. Les quantités d’eau utilisées dans l’agriculture sont astronomiques, c’est la plus grande consommatrice d’eau, alors que la moitié ruisselle, une autre partie va être drainée dans les nappes emportant au passage les fertilisants, au bout du compte il ne reste presque rien pour la plante. Si on peut économiser 20 ou 30 % d’eau dans la culture, elle pourra être utilisée pour l’usage domestique ou les industries.

C’est exactement la même chose pour les fertilisants. Les agriculteurs en mettent souvent beaucoup trop à des dates habituelles, par exemple en début de saison. Nous avons montré qu’en fonction de la situation climatique de l’année, de la date de plantation, les dates préconisées et les quantités à apporter ne sont pas toujours les mêmes. C’est important parce que si l’agriculteur met beaucoup de fertilisants avant une grosse pluie, une partie des fertilisants va alors être lessivée dans les nappes et donc les polluer, et une autre partie va se volatiliser en produisant du gaz à effet de serre. L’IA permet de faire des modèles qui eux vont simuler plusieurs cas de figure possible et prendre en compte tous les facteurs pour pouvoir donner à l’agriculteur tout ce dont il a besoin pour prendre une décision raisonnable et économique. »

Aline Bsaibes, Directrice Générale de la société ITK
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