Analyse des conséquences économiques de la guerre en Ukraine avec l'Atlas des Synergies Productives - Partie 1/2 : les Exportations

Publié le 28 avril 2022
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cargo rempli de containers import/export

Arrêt des exportations de la France vers la Russie et l’Ukraine : les secteurs économiques les plus impactés

La guerre déclenchée par Vladimir Poutine en Ukraine le 24 févier 2022 est une catastrophe humaine, cela va sans dire, mais aussi un véritable bouleversement politique et économique. Les membres de l’Union Européenne, dont la France, ont d’ailleurs choisi d’actionner le levier économique pour sanctionner Moscou et tenter de stopper cette guerre. L’arrêt volontaire des échanges commerciaux avec la Russie, mais aussi avec l’Ukraine par la force des choses, est un nouveau choc auquel nous devons faire face après la crise sanitaire en 2020. Évidemment, il faut espérer que ce conflit prendra fin rapidement, mais quoi qu’il en soit il y aura des conséquences graves sur une économie mondialisée dans laquelle tous les pays sont liés directement ou indirectement, favorisant ainsi un effet domino.

Concernant la France, qu’en est-il réellement ? Grâce aux données statistiques délivrées par  l’Atlas des Synergies productives, nous pouvons cibler précisément quels secteurs économiques et quels produits sont les plus touchés par l’arrêt des exportations vers la Russie et l’Ukraine. Cet outil permet également de visualiser clairement quels sont les autres pays avec lesquels il serait possible d’intensifier nos partenariats commerciaux sur ces productions impactées.

Que représente les marchés russes et ukrainiens pour les exportations de produits français ?

En se focalisant uniquement sur les exportations de la France vers ces deux pays, les spécialistes économiques s’accordent à dire que l’impact sur notre économie est limité. En 2020, le montant des exportations des entreprises françaises vers la Russie s’est élevé à 5,2 milliards d’euros1, autrement dit un peu plus de 1 % de nos exportations mondiales. Le pays de Vladimir Poutine est donc le 7ème marché de la France. Pour l’Ukraine, les exportations depuis la France n’ont pas dépassé 1 milliard d’euros en 2020. En totalisant les deux, on arrive à moins de 2 % du total des exportations qui partent depuis la France.

Globalement, ces chiffres montrent bien que la Russie et l’Ukraine ne sont pas les partenaires avec lesquels nos échanges commerciaux sont les plus intenses. La perte du chiffre d’affaires relatif aux exportations vers ces deux pays ne serait pas insurmontable pour la France, surtout si le conflit ne s’inscrit pas dans la durée. Toutefois, d’un point de vu diplomatique, on ne sait pas comment va tourner cette guerre, ni combien de temps les sanctions économiques contre le gouvernement russe vont perdurer lorsque la paix sera de retour. Lorsqu’on place le curseur au niveau des entreprises françaises qui traitent avec la Russie, la situation reste tendue. Par exemple, pour Renault l’inquiétude est légitime : la Russie est son deuxième plus gros marché mondial avec 500 000 véhicules vendus en 2021, via sa filiale sur place Avtovaz (donc non comptabilisés dans les exportations) ce qui représente tout de même 2,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires.2

Il paraît évident que même si la guerre s’arrête demain, les dégâts humains provoqués par la Russie sur le territoire ukrainien vont geler pour un long moment ses relations diplomatiques tout comme ses partenariats économiques avec les pays d’occident. La France, même si elle exporte finalement assez peu vers la Russie, va tout de même devoir trouver les moyens d’absorber le choc pour soutenir ses secteurs d’activités les plus impactés et trouver d’autres marchés pour combler les pertes.

Quels produits sont exportés depuis la France vers la Russie et l’Ukraine ?

Les Produits exportés par la France vers la Russie :

Grâce à l’Atlas des Synergies Productives, nous avons déterminé quel type de produits sont les plus exportés par la France vers la Russie, en se basant sur les codes CPF (Classification des produits Français) :

Le diagramme ci-dessus montre que la Russie s’intéresse majoritairement aux aéronefs et engins spatiaux de la France. Ce type de produits représente 17,5 % de la totalité des exportations de la France vers la Russie. Les quatre autres produits les plus exportés vers la Russie sont les produits chimiques à destination cosmétique (7%), des produits chimiques à usage industriel (6,3%), les préparations pharmaceutiques (5,8 %) ainsi que des pesticides et autres produits agrochimiques (4 %).

Les Produits exportés par la France vers l’Ukraine :

Nous avons fait la même analyse afin de cibler les produits français qui sont les plus exportés vers l’Ukraine, en utilisant toujours l’Atlas des Synergies productives :

Surnommé le grenier à blé de l’Europe, l’Ukraine est un grand producteur agricole, il n’est donc pas étonnant que ses besoins se portent sur des produits liés à ce secteur d’activité. Par conséquent, le pays de Volodymyr Zelensky achète à la France principalement des produits chimiques à destination agricole (18.9%). Le graphique ci-dessus montre également que la France exporte des céréales, légumineuses et oléagineux vers l’Ukraine (8,13%), ce qui peut paraître surprenant à première vue puisque l’Ukraine exporte elle-même plus de 60 % de sa propre production de céréales dans le monde. On peut supposer que les deux pays, France et Ukraine, s’échangent différents types de céréales (blé tendre, blé dure, maïs, orge, etc…) ou de légumineuses, en fonction de leurs productions respectives. En dehors du secteur agricole, on note que l’Ukraine se fournit également en en produits chimiques pour la cosmétique, (10,57%) et en préparations pharmaceutiques pour 9,9% de la totalité de ses importations françaises. En cinquième position, on trouve les véhicules automobiles à hauteur de 5.7 %.

Quels marchés pourraient se substituer à la Russie pour les produits exportés par la France  ?

Si l’arrêt des exportations vers la Russie et l’Ukraine devait se poursuivre, la perte de ces marchés aurait pour conséquence, soit une réduction des productions sur les produits concernés, soit la recherche de nouveaux marchés pour continuer au même niveau de production. La question n’est pas simple, car la fabrication des produits que nous exportons vers la Russie et l’Ukraine sont aussi soumises à des problématiques d’approvisionnement en intrants (matières premières, énergie, engrais, etc) dues au conflit russo-ukrainien.3 Il y a donc fort à parier que nos entreprises aient déjà du mal à honorer les commandes prévues pour les autres pays. Néanmoins, nous sommes partis du principe qu’il nous faudra trouver de nouveaux marchés sur les principaux produits exportés vers la Russie puisque les sanctions économiques contre ce pays risquent de perdurer au vu de la situation géopolitique actuelle. En cas de relation économique gelée pour un long moment avec la Russie, l’Atlas des Synergies Productives nous permet de déterminer avec quels pays nous pourrions accentuer nos exportations pour chacun des quatre produits que nous vendons le plus en Russie.

Aéronefs et engins spatiaux

Pour les produits « Aéronefs et engins spatiaux » (diagramme ci-dessus), les États-Unis (18,7%) et l’Allemagne (15,6%) sont les deux plus gros partenaires avec lesquels la France aurait intérêt à augmenter ses contrats. Le Royaume-Uni (6,2 %) et l’Espagne (4,6%) sont aussi deux marchés intéressants à développer. La Chine fait également partie des pays avec qui la France traite déjà pour vendre ses produits liés à l’aéronautique. D’un point de vu strictement économique, la Chine apparaît comme un état à fort potentiel au vu de son développement, mais d’un point de vue politique et diplomatique, sa proximité avec la Russie positionne la Chine comme un pari risqué.

Préparations pharmaceutiques

Pour les produits pharmaceutiques (diagramme ci-dessus), que nous exportons en Russie mais aussi en Ukraine, on voit que les États-Unis ressortent de nouveau comme le marché le plus important de la France (13,5 %), mais des partenaires européens comme la Belgique (12%), l’Allemagne (10%) et l’Italie (9,9%) ne sont pas très loin de l’égaler. La Suisse, qui représente déjà 5,2% de nos exportations en produits pharmaceutiques, pourrait aussi s’avérer être une piste intéressante à suivre.

Parfums et produits pour la toilette

Concernant les produits classifiés sous le libellé « Parfums et produits pour la toilette » ou autrement dit les produits chimiques à destination du secteur cosmétique, on se rend compte que nos exportations sont pratiquement équivalentes actuellement vers la Chine (11,2 %), l’Allemagne (10,2%) et les États-Unis (10,1%). Singapour (9%) est aussi une destination avec laquelle il serait judicieux d’intensifier les exportations de la France sur cette typologie de produits, tout comme le Royaume-Uni (6,82%).

Pesticides et autres produits agrochimiques

Enfin, concernant les pesticides et autres produits agrochimiques, on voit que l’Allemagne (15,5 %), le Royaume-Uni (13,7%), l’Italie (10,9%) le Brésil (10,4%), l’Espagne (9,9%) et se partagent pratiquement à part égal le top 5 des marchés les plus importants de le France.

Dans ce contexte imprévisible, il est difficile de s’avancer sur des conjectures économiques qui pourraient être remises en cause d’un jour à l’autre. Toutefois une vision claire de ce que représentent les marchés de la Russie et l’Ukraine pour les exportations françaises, fournie par des outils comme l’Atlas des Synergies Productives, permet d’entrevoir des solutions pour repositionner les productions françaises impactés directement par le conflit russo-ukrainien.

Il faut aussi rappeler que ce focus sur les exportations de la France doit être mis en lien avec une analyse des importations en provenance d’Ukraine et de Russie3, pour se rendre compte de la situation dans son ensemble et comprendre comment surmonter les difficultés qu’annoncent une suspension des échanges commerciaux dans les deux sens avec ces pays en guerre.

Les analyses de données via l’Atlas des Synergies Productives ont été effectuées par Nicolas Sauzeat, datascientist et économètre chez OpenStudio. Nicolas Sauzeat est titulaire d’un Master chargé d’Études Économiques obtenu à l’Université Lumières Lyon 2. Avant de rejoindre l’équipe d’OpenStudio, il a été professeur d’économie et de traitement des données en BTS et Bachelor au cours Diderot de Lyon, ainsi que formateur python pour un bootcamp. Dans le cadre de ses recherches autour de l’Atlas des Synergies Produtives, Nicolas Sauzeat élabore actuellement une thèse avec l’Ecole des Mines de Saint-Etienne, sur la prédiction et la simulation de plusieurs scenarii d’évolution possibles de la capacité productive des entreprises industrielles françaises dans une filière industrielle identifiée ; compte tenu des évolutions technologiques, économiques et législatives de leur environnement territorial et industriel . Ses premiers travaux seront présentés lors d’une conférence de l’EIRD (European Institute for Research and Development) à Istanbul en mai 2022.

1 Les sanctions économiques de la Russie impactent les entreprises françaises

https://classe-export.com/index.php/actus/45126-les-sanctions-economiques-de-la-russie-impactent-les-entreprises-francaises/

2 Crise avec la Russie : plus de 500 sociétés françaises impactées, mais un risque minoré

https://www.letelegramme.fr/economie/crise-avec-la-russie-plus-de-500-societes-francaises-impactees-mais-un-risque-minore-23-02-2022-12927253.php

3 Arrêt des importations depuis la Russie et l’Ukraine : les secteurs économiques les plus touchés en France

https://www.openstudio.fr/2022/04/28/arret-des-importations-depuis-la-russie-et-lukraine-les-secteurs-economiques-les-plus-touches-en-france/