Mellia : Analyse des données un an après l’installation des ruches connectées

Publié le 21 novembre 2023
8 minutes de lecture
Mellia, ruche connectée

Dans un monde où la survie des abeilles et autres pollinisateurs est menacée par des pratiques agricoles intensives telles que l’utilisation de pesticides néonicotinoïdes, les maladies (varroas destructor, noséma, loque américaine) et le dérèglement climatique, le développement de la technologie IoT a ouvert de nouvelles voies pour la sauvegarde de ces insectes vitaux. OpenStudio, entreprise soucieuse de la protection de l’environnement et de la biodiversité, a conçu Mellia, une ruche connectée destinée aux apiculteurs, afin qu’ils puissent surveiller à distance et de manière non intrusive, la vie des abeilles. Ce projet collaboratif, sur lequel travaillent principalement nos équipes du Puy-en-Velay, exploite le potentiel de l’intelligence artificielle (IA) et de l‘Internet des objets (IoT) pour analyser l’environnement des abeilles et concevoir des solutions pour leur préservation. Il s’aligne sur les initiatives RSE (Responsabilité sociétale des Entreprises) d’OpenStudio sous les bannières « IT for Green » et « IT for Good ». Un an après l’installation de nos ruches connectées sur deux lieux différents au Puy-en-Velay, nous avons récolté de nombreuses données. C’est donc l’analyse de cette data que vous allez découvrir à travers cet article.

Auteurs : Analyse réalisée par Taoufik Jarmouni, alternant data scientist en Master of Science Information & Technologie à Epitech Lyon, en collaboration avec Kévin Cortial, data scientist et Nicolas Bréard, Ingénieur IoT chez OpenStudio.

Le projet Mellia s’inscrit dans une démarche à la fois open source, open hardware et open science. C’est la raison pour laquelle nous publions régulièrement les avancées du projet Mellia et que nous souhaitons partager nos analyses suite aux captations de données que nous avons effectuées dans nos ruchers.

SIMILARITÉS ENTRE LA TEMPÉRATURE DE MÉTÉOSTAT ET DU DASHBOARD

Le premier objectif de notre démarche, est de vérifier la justesse de nos capteurs et de mettre en lumière leur précision dans le suivi des conditions environnementales, pour qu’on puisse connaître leur fiabilité et les utiliser ensuite pour l’analyse.

Nous explorons les similitudes entre les données obtenues à partir de nos capteurs dans les ruchers, où nous avons installé des ruches test au Puy-en-Velay, à l’école Calandreta Velava et à Bel Air, et les données de Le Gardien du Temps | Meteostat, en utilisant celles de la station Météo France la plus proche pour la même ville, Le Puy-en-Velay. Cette comparaison met en évidence la précision des données capturées par nos capteurs, avec une marge d’erreur de ±3 % humidité relative et ±3°C, soulignant ainsi la fiabilité de nos mesures. Nos capteurs nous fournissent des informations détaillées sur la température extérieure, ce qui nous permet de suivre les variations de température avec précision. En traçant la moyenne journalière de la température extérieure à partir des deux sources de données, nous pouvons observer à quel point elles se rapprochent. Cette différence est d’environ de 1.12 °C, c’est-à-dire qu’en moyenne nos capteurs ont un degré de différence avec les données de Météo France.

Figure 1 : Comparaison de la température au fil du temps (Le Puy-en-Velay), en prenant en compte que la différence en °C entre les deux températures.

Figure 1 : Comparaison de la température au fil du temps (Le Puy-en-Velay), en prenant en compte que la différence en °C entre les deux températures.

Il est important de noter que nos observations révèlent une distinction significative entre les données recueillies pendant l’hiver et celles enregistrées pendant l’été, malgré l’utilisation du même capteur. Pendant la saison hivernale, nos capteurs fournissent des données beaucoup plus précises, avec une marge d’erreur minimale, ce qui renforce considérablement la fiabilité de nos mesures. Cependant, durant la période estivale, nous avons observé que la précision des données diminue légèrement, bien que nos capteurs continuent de fonctionner de manière cohérente. Cela reste objet d’une discussion sur les données aberrantes récoltées.

Le niveau élevé de similitude entre les deux ensembles de données suggère que nos capteurs offrent une surveillance fiable et précise de la température, ce qui renforce notre confiance dans les données capturées. Cependant, cette similarité ne peut être établie que sur la température, étant donné que nous ne disposons pas des autres données nécessaires Météo France pour effectuer une comparaison complète.

Figure 2 : comparaison de la température au fil du temps (Le Puy-en-Velay). Avec en bleu la température fournie par le capteur et en orange celle récupérée sur Météostat, les deux en °C.

Figure 2 : comparaison de la température au fil du temps (Le Puy-en-Velay). Avec en bleu la température fournie par le capteur et en orange celle récupérée sur Météostat, les deux en °C.

Ici on peut donc remarquer que les données du capteur sont très similaires aux températures moyennes fournies par Météostat.

L’INFLUENCE DE LA TEMPÉRATURE EXTERNE ET INTERNE SUR LA MASSE DE LA RUCHE

Dans cette deuxième partie, nous examinons et montrons les raisons de la diminution de la masse des ruches en hiver, lorsque les températures chutent à l’extérieur de la ruche.

Figure 3 : comparaison de la température et la masse (enregistrés par nos capteurs) au fil du temps (Le Puy-en-Velay). Avec en rouge la masse en Kg, en bleu la température interne de la ruche en °C et en orange la température externe en °C

On constate que la masse chute de 40.8Kg (le 1er Janvier 2023) à 39.5Kg (le 1 Avril 2023). Ce phénomène est conforme aux connaissances scientifiques établies sur le comportement des abeilles. Lorsque les températures baissent, les abeilles se regroupent pour se réchauffer et consomment le miel stocké comme source d’énergie. En hiver, pour se protéger du froid, les abeilles se regroupent en formant une grappe. Les abeilles à l’extérieur de la grappe consomment de l’énergie en battant des ailes pour maintenir la température au cœur de la grappe, mais globalement, l’activité métabolique diminue, ce qui entraîne une réduction de la masse de la ruche en conséquence de l’utilisation du miel en tant que source d’énergie. De plus, pendant cette période, l’activité de butinage s’arrête, tout comme la ponte de la reine, contribuant ainsi à la diminution de la masse de la ruche. En examinant la masse quotidienne moyenne de la ruche en relation avec les températures internes et externes, on observe une variation notable entre les variations de température et les changements de masse de la ruche. Une relation linéaire simplifiée entre la variation de la masse de la ruche (\Delta M) et la variation de température (\Delta T) pourrait être approximée comme suit : \Delta M=k * \Delta T\Delta M représente la variation de masse de la ruche, \Delta T représente la variation de température, et k est un coefficient qui mesure l’impact de la température sur la masse de la ruche.
En d’autres termes, lorsque la température diminue, la masse de la ruche a effectivement tendance à diminuer, et vice versa. On peut bien le remarquer entre le 1er Janvier 2023 et le 18 Avril 2023 (voir Figure 3). Nous avons testé une analyse de régression linéaire en utilisant les données recueillies. Cela nous permet de mieux comprendre comment la masse de la ruche réagit aux variations de température pendant la saison hivernale. 

Figure 4 : comparaison des courbes de régression linéaires au fil du temps. Avec en vert celle créée à partir du temps et la température, en violet celle en n’utilisant que le temps et en jaune celle de la température.

Dans ce graphique, nous examinons trois courbes qui nous aident à comprendre l’évolution quotidienne de la masse ainsi que la relation entre la température et la masse. Chaque courbe est identifiée par une couleur spécifique. La courbe rouge représente les données de masse enregistrées depuis le capteur dans la ruche. En jaune, nous avons la courbe de régression linéaire qui utilise uniquement la température comme variable explicative, nous montrant comment la température influence la variation de la masse. En violet, la droite est un ajustement affine de l’évolution quotidienne de la masse.

Les courbes analysées suggèrent que l’écoulement du temps, mesuré jour par jour entre le début de la collecte des données et l’instant de l’analyse, exerce une grande influence sur la variation de la masse. Bien que l’avancement journalier reste l’influence principale sur cette variation, il est important de souligner que d’autres facteurs tels que la température, la physiologie des abeilles (leur longévité, etc.), ainsi que d’autres phénomènes naturels, bien que moins influents, demeurent des composants du calcul global de la variation de la masse et ne peuvent être négligés. Le coefficient directeur de notre droite affine (en bleu) représente la pente de la droite. Ce coefficient est de -0.986, ce qui explique la diminution journalière de la masse de la ruche.

Pour mener une analyse plus approfondie, nous aurions besoin de davantage de données afin d’effectuer une analyse basée sur des séries temporelles. Ainsi, d’année en année, nous pourrions observer des motifs récurrents (pattern) qui pourraient se répéter au fil des années. Ces schémas identiques chaque année pourraient nous aider à modéliser une saisonnalité et contribueraient à prédire des événements à venir, tout en permettant d’identifier les différences entre les années qui pourraient être expliquées par d’autres facteurs externes, météorologiques ou non (sécheresse, humidité excessive, etc.).

Dans cette étude, nous sommes confrontés à un défi lié à la labellisation des données provenant de nos capteurs. La qualité et la cohérence des données sont essentielles pour une analyse approfondie, mais nous avons constaté des lacunes dans la fonctionnalité des capteurs, entraînant des jours où les données pertinentes sont manquantes. Ces anomalies compliquent la récupération et la compréhension des données, compromettant ainsi notre capacité à établir un historique précis des événements. Par exemple, des actions humaines telles que la récolte du miel ou l’alimentation des abeilles, ou des phénomènes naturels comme la mortalité saisonnière des abeilles, ne sont pas clairement enregistrés et labellisés.

Afin d’améliorer la qualité de nos analyses et d’envisager des prédictions futures, l’ajout de labels spécifiques à ces événements serait crucial. Ces labels nous permettraient de contextualiser les variations observées dans les données, offrant ainsi une perspective plus complète pour une utilisation plus avancée de l’apprentissage automatique ou de l’analyse prédictive. La labellisation des données devra être une priorité pour renforcer la robustesse et la pertinence de nos conclusions.

PROPOSITION D’UNE MODELISATION MATHEMATIQUE DE LA DYNAMIQUE DE LA MASSE

Dans cette étude, nous nous sommes engagés dans la tâche ambitieuse de modéliser mathématiquement l’évolution du poids des ruches au fil du temps en utilisant des équations aux dérivées partielles. Notre objectif était d’aller au-delà de l’analyse linéaire pour comprendre les changements de poids de manière plus approfondie. Pour ce faire, nous avons exploré la possibilité de déterminer la seconde dérivée de la masse par rapport au temps, ce qui nous aurait permis d’observer la vitesse à laquelle la masse des ruches diminuait ou augmentait, et d’évaluer ces changements de manière quotidienne. Cependant, malgré nos efforts, nous avons rencontré des défis liés à la disponibilité et à la qualité des données. Les lacunes occasionnelles dans les données provenant de nos capteurs ont entravé notre capacité à obtenir une série temporelle continue et homogène. Ces obstacles ont compromis la création d’une modélisation mathématique complète, mettant en évidence la nécessité d’une amélioration continue de la qualité des données pour des analyses plus avancées et des prédictions futures. En dépit de ces défis, notre tentative de modélisation a jeté les bases pour des recherches futures visant à mieux comprendre la dynamique complexe de la masse des ruches dans des conditions environnementales changeantes.

L’INFLUENCE DE LA SÉCHERESSE SUR L’HUMIDITÉ INTERNET ET EXTERNE

Dans la troisième partie de l’analyse, nous abordons l’impact de la sécheresse sur les niveaux d’humidité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la ruche. On récupère les données sur les niveaux d’humidité externe et interne à partir des nos capteurs et les précipitations à partir de Météo France. L’analyse révèle une baisse significative des niveaux d’humidité pendant l’hiver, principalement en raison d’un manque de précipitations ce qui était exceptionnel pour cet hiver 2023. À l’intérieur de la ruche, le taux d’humidité est descendu jusqu’à 40 %, ce qui peut constituer un danger pour les abeilles. En théorie, durant l’hiver, la reine cesse de pondre, tandis que les abeilles requièrent un certain niveau d’humidité pour préserver la santé de leur ruche et faciliter le développement du couvain. Les données soulignent l’importance de surveiller l’humidité et les précipitations pour garantir des conditions optimales dans les ruches, en particulier pendant les périodes sèches où les sources d’eau pour les abeilles peuvent être limitées.

Figure 5 : effets de la sécheresse sur l’humidité (Le Puy-en-Velay). Avec en orange l’humidité interne en %, en bleu l’humidité externe en % et en vert les précipitations en mm.

Figure 5 : effets de la sécheresse sur l’humidité (Le Puy-en-Velay). Avec en orange l’humidité interne en %, en bleu l’humidité externe en % et en vert les précipitations en mm.

DISCUSSION

Il est essentiel de noter que malgré la précision des données recueillies par nos capteurs dans le suivi de la température, il existe des défis liés à la qualité et à la cohérence des données. Tout d’abord, il convient de mentionner que certaines données de nos capteurs sont parfois manquantes, ce qui signifie qu’il y a des jours où nous n’avons pas reçu de données de température ou d’autres types de données cruciales. Cette lacune ponctuelle peut avoir un impact sur notre compréhension des tendances à long terme et des schémas environnementaux.

CONCLUSION

La première partie démontre la précision de notre suivi de la température, puisque les données collectés s’alignent étroitement avec les données de la station Météo France la plus proche. Cette concordance souligne la fiabilité de nos capteurs dans le suivi des variations de température. Dans la deuxième partie, nous explorons la diminution de la masse des ruches pendant l’hiver, en l’attribuant à la réponse des abeilles à la baisse des températures internes et externes, un phénomène bien étayé par les connaissances scientifiques. Enfin, la troisième partie met en évidence les effets négatifs de la sécheresse sur les niveaux d’humidité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la ruche, soulignant l’importance du contrôle et du maintien d’une humidité adéquate dans la ruche pour la santé des abeilles.

Pour en savoir plus sur le projet Mellia : www.mellia.fr