E-commerce et retail : les enjeux de l’omnicanalité à l’ère du digital

Publié le 10 juin 2022
6 minutes de lecture
Image de Samantha Borges sur Unsplash

Les habitudes d’achat des consommateurs ont fortement été bousculées durant la crise sanitaire replaçant la rivalité e-commerce/retail au cœur du débat sur les pratiques commerciales des acheteurs. Selon une étude d’Opinionway, 50 à 65% des consommateurs affirment que la crise Covid a changé leurs comportements d’achat. À travers ces deux dernières années où l’économie mondiale tournait en sous-régime, le commerce en ligne est apparu comme le grand gagnant de cette compétition. En effet, le secteur du e-commerce parvient à maintenir, selon le dernier rapport annuel de la Fevad, un bilan positif avec une croissance annuelle de 15,1% en 2021 contre 8,5% en 2020. La pandémie a même boosté les ventes de produits en ligne de 50%. De son côté, le retail lui, tente de se réinventer au travers d’une digitalisation de ses points de vente. Alors ? Retail ou e-commerce ? Et si ce choix n’était justement plus à faire ?

E-commerce et retail deux canaux de vente que tout oppose… Et pourtant

Comment faire le choix du bon canal de vente à adopter ? Faut-il privilégier le e-commerce au détriment du retaila à l’ère du digital ? En 2021, la part du e-commerce dans l’ensemble du commerce de détail atteignait les 14,1%. D’ici dix ans, elle pourrait dépasser la barre des 20%. Rappelons qu’en 2018 elle n’était que de 9,1%.Preuve que la pandémie et ses trois périodes de confinement furent un accélérateur pour le secteur du commerce en ligne.

Bertrand Chabrier, directeur marketing et commercial de C-log

« La Covid-19 nous a fait basculer un peu plus loin dans l’ère du e-commerce par obligation, on a gagné quasiment 5 à 8 ans de croissance e-commerce en une fois. »

Extrait de l’interview de Bertrand Chabrier autour de l’impact de l’Intelligence Artificielle sur la logistique en e-commerce

En terme d’expérience d’achat, le e-commerce a bousculé les stratégies marketing en place depuis des décennies pour proposer à ses clients une expérience centrée utilisateur. Avec l’intelligence artificielle devenue de plus en plus abordable par les e-commerçants, ces derniers sont aujourd’hui en mesure de développer des applications au service de l’expérience client la plus optimisée qu’il soit (chatbot, recommandation produit, prédiction des ventes, segmentation client, etc.). La personnalisation de l’expérience client est devenue une des raisons clé pour laquelle le e-commerce s’est imposé comme le grand remplaçant du retail traditionnel. Ce mode de consommation est également perçu comme un canal de vente plus pratique que l’achat en magasin. Selon un sondage d’avril dernier mené par l’IFOP (Institut Français d’Opinion Publique), en collaboration avec la FCD (Fédération du Commerce et de la distribution), plus de 70% des interviewés déclarent que le e-commerce leur permet de mieux comparer les produits proposés par diverses enseignes et d’ainsi obtenir ce dont ils ont besoin en un temps record.

Paradoxalement, le retail reste privilégié par les acheteurs. En 2021, SmartTraffik affirmait que 9 achats sur 10 se passaient encore en magasin. Les boutiques disposent toujours d’un capital confiance très important vis-à-vis de leurs consommateurs. Au-delà de solliciter tous les sens de l’acheteur, elles offrent à leur clientèle un savoir-faire et un contact humain, difficiles à mettre en place sur le web aujourd’hui.

Quand la croissance du e-commerce pousse à la digitalisation du point de vente physique

Chaque jour nous passons en moyenne 3h30 sur notre smartphone.2 Pour les retailers la digitalisation de leurs points de vente physiques est devenue un enjeu surtout lorsqu’on sait que 41,4% des acheteurs en ligne consomment à partir de leur smartphone.3

Pour certains, l’essor des pratiques de vente en ligne marque le déclin des boutiques traditionnelles. Pour d’autres, cette croissance pousse les retailers à se réinventer en misant sur la digitalisation de leurs points de vente. Bornes interactives, cabines d’essayages virtuelles, hologrammes, geo-fencing, etc., le web in store, pratique qui consiste à intégrer les outils numériques en magasin, permet aux retailers d’offrir une expérience sur-mesure aux consommateurs. En effet, derrière ces innovations se cache une même volonté : personnaliser l’expérience d’achat pour attirer du trafic et fidéliser sa clientèle. 

Du marketing mobile au clientelingb en passant par la réalité augmentée, toutes ces pratiques de digitalisation n’ont qu’un but : donner de nouvelles raisons aux clients de se déplacer en magasin. En parallèle de la digitalisation des boutiques, les retailers doivent aussi intégrer une démarche de complémentarité entre les canaux de vente physiques et virtuels. La prochaine étape consiste donc à adopter une démarche de marketing omnicanale et plus multicanale.

L’omnicanalité, une réponse à l’évolution des comportements des consommateurs

Avortée sans même avoir été envisagée du fait des ressources qu’elle mobilise (financières, humaines et technologiques) l’omnicanalité revient pourtant sur le devant de la scène commerciale avec pour maître-mot « l’e-commerce 3.0 au service des consommateurs ». Cette fusion des canaux de distribution tant physiques que digitaux consiste à repenser de façon pleine et entière l’expérience d’achat du consommateur. L’objectif étant de satisfaire le client dans toutes les étapes de son processus d’achat en le plaçant au cœur de toute préoccupation commerciale.

Opter pour l’omnicanalité consiste à trouver le juste équilibre des canaux de distribution exploités. Loin d’être un phénomène à sens unique, les canaux de vente se nourrissent mutuellement. On dit qu’ils s’omnicanalisent. Le principe d’une telle démarche est d’éviter tout rapport de force voire de « cannibalisme » entre ces canaux. Faire le choix de l’omnicanalité c’est proposer à ses clients une expérience fluide et personnalisée à condition que l’interconnectivité des canaux de distribution offre une expérience véritable et unique. Cela nécessite en amont de bien étudier sa clientèle à travers différents outils de mesures.

Dans certaines circonstances, le déséquilibre entre les canaux est recherché. C’est le cas de Julien, Vincent et Jérémie, fondateurs de Picture Organic Clothing, qui ont décidé d’adopter une stratégie web to store qui consiste à ne pas « torpiller » leurs revendeurs.

« Nos clients ne vont pas venir sur notre site e-commerce pour faire un bon coup, c’est-à-dire avoir du prix, on va toujours laisser l’avantage à nos revendeurs. En clair, s’ils font une promotion à -30 %, nous on fera que – 20 % sur le site. »

Extrait de l’interview des cofondateur de Picture Organic Clothing : IA & E-commerce : Le “slow développement” de Picture Organic Clothing sur le web).

La boutique en ligne vient apporter un service complémentaire qui va toucher un nouveau segment de clients : par exemple les habitués du shopping en ligne ou les amoureux de la marque trop éloignés des magasins qui la proposent.

Il existe d’innombrables innovations omnicanales mises en place par les retailers ou pure players. Voici une liste non-exhaustive des dispositifs existants : 

  • Click and collect / Drive

Devenue très populaire durant la pandémie de 2020, cette stratégie vise à inclure le point de vente physique dans le parcours d’achat de son e-commerce. Le client passe commande en ligne et retire son produit en magasin. 

  • Web to Store & Store to Web

L’e-commerce demeure un canal froid et appréhender le produit est souvent un point délicat pour le client. Adopter une approche web to store peut permettre de lever ce frein. C’est le cas de l’Oréal qui propose d’essayer le maquillage de manière virtuelle via ses applications « Makeup Genius » et « True Match App » avant son achat en magasin.

Amazon pratique l’inverse en adoptant une approche store to web : l’entreprise a créé sa boutique Amazon Books pour faire découvrir sa gamme de produit High-Tech avant leur achat en ligne.

  • Achat en ligne, retour en magasin et vice-versa

Souvent perçu comme un point sensible en e-commerce, le retour en magasin ou « back to store » peut devenir un argument de vente qui fera la différence. Certaines enseignes (surtout celles présentes dans le secteur de la mode) proposent déjà de retourner le produit directement en points de vente.

  • Réservation en ligne

La Bonne Pointure, client historique d’OpenStudio, a ajouté sur son site la possibilité de réserver un modèle de chaussure directement en magasin afin de l’essayer avant son achat. Ainsi, la réservation en ligne de ses produits lui permet de réduire le nombre de retours et de proposer une meilleure expérience client.

  • Unifier le compte client 

Profiter des synergies entre ses canaux commence par remettre le client au centre de sa stratégie. Tommy Hilfiger proposait auparavant des promotions pour certains profils de clients mais uniquement en point de vente. La marque a finalement créé un compte client unique (valable en retail ou en ligne) pour que ses clients aient les mêmes avantages sur chacun des canaux utilisés.

L’omnicanalité : résilience et sécurité pour les retailers

  © Foundry – Pixabay

Bien que le secteur du commerce de détail évolue à des rythmes différents en Europe, adopter une stratégie omnicanale apparaît comme un levier sur lequel les retailers ont tout intérêt à agir. Sur 800 magasins indépendants allemands et français, le cabinet Oliver Wyman, nous indique que 52 % d’entre eux adoptant une stratégie omnicanale sont en croissance. Ce pourcentage baisse à 39 % pour les mêmes magasins vendant leurs produits/services hors ligne.De façon plus concrète, 68 % des acheteurs en ligne interrogés par la Fevad (la Fédération du e-commerce et de la vente à distance) et Médiamétrie considèrent que les commerces de proximité en centre-ville devraient proposer un service de commande sur le web.

Au-delà de répondre à la dynamique des comportements d’achat des consommateurs, adopter une démarche omnicanale permet aux retailers et e-commerçants d’être plus résilients face aux périodes d’incertitude économique auxquelles nous faisons face. La fermeture inopinée des commerces traditionnels en mars 2020 fut un coup dur pour les activités des commerçants jugées « non essentielles ». Selon le shopping index de salesforce, les revenus digitaux des sites pratiquant le click & collect du 10 au 20 mars 2020 ont augmenté de 92 %, contre 19 % pour les sites ne proposant pas ce service.

« L’Omniconsommation » impose une même qualité de service sur tous ses canaux

Ce sont les besoins des consommateurs qui ont poussé les retailers et pure players à passer sur une stratégie marketing bricks and cliksc. De ce fait, la question de l’expérience utilisateur doit être au cœur de la problématique qu’impose l’omnicanalité. Dans le cas où l’expérience vécue en magasin ne reflète pas l’expérience vécue sur le web,ou inversement, la confiance du consommateur risque d’être entachée. Paradoxalement, le consommateur de son côté, ne se soucie pas du canal emprunté. Son objectif premier reste de consommer avec la meilleure expérience d’achat possible. Peu importe si elle a lieu sur internet ou en magasin. Interrogés sur leurs habitudes d’achats à la sortie de deux confinements, 8 Français sur 10 affirment s’informer en ligne avant d’acheter en boutique.4 Dans ce cas précis, il est de coutume de parler « d’omniconsommateurs ». 

La pandémie a renforcé ce besoin d’unité entre canaux physiques et digitaux chez les retailers et e-commerçants. Adopter l’omnicanalité c’est donc penser « synergie » et plus « antinomie ». Au-delà des coûts d’installations que peut représenter une telle solution, il n’est plus question de se cacher derrière cette fausse rivalité commerce physique / commerce en ligne mais bien d’utiliser l’e-commerce et le retail ensemble, comme une seule et même entité, s’assurant d’offrir le parcours le plus fluide possible pour le client. 

Quelques termes à appréhender

a retail : dans le secteur du e-commerce ce terme désigne les activités liées au commerce de détail physique en boutiques et magasins.

b clienteling : pratiques marketing consistant à établir une relation durable avec sa clientèle

c bricks and click : synonyme d’omnicanalité, ce mot désigne un commerce qui disposent à la fois d’un point de vente physique et d’un point de vente en ligne.

Pour aller plus loin :

Sources : 

https://www.fevad.com/bilan-du-e-commerce-en-france-en-2021-les-francais-ont-depense-129-milliards-deuros-sur internet/#:~:text=En%202021%2C%20les%20ventes%20en,une%20croissance%20à%20deux%20chiffres

https://www.data.ai/fr/insights/market-data/2021-mobile-shopping-apps-report/

3 https://www.fevad.com/chiffre-cles-2021-fevad/

4 https://www.ifop.com/publication/limpact-de-le-reputation-sur-le-processus-dachat/